Le voyage est plus important que la destination

J'attendais beaucoup du film, principalement parce que j'adore ce que fait Bong Joon-Ho. Je n'avais pourtant pas lu la BD. Maintenant que je l'ai lue, je peux vous dire que le scénario du film n'en reprend que le principe de base (toute l'humanité est regroupée dans un train en mouvement perpétuel), tout le reste est nouveau. 1er bon point, cela permet de ne pas avoir un bête calque d'une histoire existante.

Les éléments qui semblent le plus déranger les détracteurs du film (en dehors de la présence de Chris Evans, que j'ai trouvé très bon), c'est l'ambiance un peu foldingue avec ses ruptures de ton assez violentes, le côté socio-politique moins présent que prévu et l'organisation du train qui n'a pas convaincu tout le monde. Pour moi ce ne sont pas vraiment des défauts, et j'y réponds avec le titre de ma critique : la manière dont est agencé le train n'est pas prévu dans un soucis de réalisme, mais plus dans celui du symbolique.

On suit le périple d'insurgés qui partent de la queue du train pour remonter à l'avant. Chaque wagon est une étape qui rapproche un peu plus les héros d'un autre univers, celui du faste, du superficiel et de la débauche. C'est le train qui s'adapte au film pour permettre cette progression dans l'histoire et non l'inverse. De même, la fin n'est pas à prendre au pied de la lettre mais plus pour ce que ça représente, comme un symbole. Donc ce n'est pas réaliste, mais c'est plus efficace. De toute façon Bong Joon-Ho est un réalisateur qui apprécie beaucoup l'humour et les situations absurdes, il a ainsi choisi une ambiance qui peut brutalement devenir loufoque pour souligner quelques moments de cynisme ou de paradoxe. C'est sûr que ça surprend, mais là encore je trouve que ça sert le récit, en appuyant sur certaines absurdités humaines et pas juste pour caser une blague façon manga.

Quant à la dimension politique, il y a certaines personnes qui l'ont portée aux nues tandis que d'autres trouvaient que c'était de la philosophie de comptoir qui se croit intéressante. D'abord je tiens à dire que si ce qui vous passionne c'est le fonctionnement que peut avoir la société dans le train, je vous recommande la BD. Elle est totalement dédiée à ce système, aux relations entre les différentes classes, à l'organisation du train et au parallèle entre ce monde et le notre. Le but du film n'était pas de répéter tout ça, ça aurait été inutile. Il laisse donc ce genre de détails de côté pour raconter autre chose : le déroulement mouvementé de cette rébellion et le voyage de son leader. La critique de notre société se fait sur d'autres points, non traités par la BD, comme le travail des enfants ou la violence dont on peut faire preuve pour défendre son territoire ou améliorer sa situation. Pour moi c'est un plus, mais pas la vraie raison pour laquelle on ira voir le film. C'est toujours bon à prendre, ça ajoute de l'intérêt, mais il ne faut pas non plus l'acclamer pour ça.

Et alors, qu'en est-il de ce voyage que je n'arrête pas de mentionner ? Est-ce qu'il vaut le coup ?
Oui, totalement. Déjà parce qu'il est très bien filmé, même s'il y a un peu de shaky cam. Le train est vivant, les musiques rendent les scènes d'action très prenantes et on a droit à quelques délires assez fendards. Le rythme est bon, les acteurs jouent bien mais il ne faut pas espérer un traitement approfondi de tous les personnages. Les moments de tension avant la tempête sont électrisants, on sent toute la violence qui ne tardera pas à se déchaîner d'un bloc. Il y a du sang, mais on évite de montrer les coups face caméra, ce qui n'empêche pas d'apprécier la brutalité des belligérants (sans aller jusqu'à l’écœurement). Les changements de wagons apportent des changements d'ambiance toujours agréables, la progression du train nous emmène de surprises en surprises (visuelles).

En clair c'est pour moi un très grand film. Il ne plaira pas à tout le monde car il est déroutant et semble régulièrement osciller entre l'humour et le sérieux. Il ne faut pas le prendre au premier degré, juste apprécier ce que l'on voit. Et ce que l'on voit est fabuleux.