SOFIA (12,8) (Meryem Benm'Barek, MAR/FRA, 2018, 80min) :


Cette chronique âpre narre le destin de Sofia, jeune femme de vingt ans vivant chez ses parents à Casablanca, qui se retrouve subitement dans l'illégalité suite à une grossesse hors mariage. Une naissance catalyseur de multiples fractures familiales et sociétales.


Salué par la critique et récompensé par le Prix du scénario dans la section Un Certain regard au dernier Festival de Cannes 2018, ce premier long métrage Sofia, de la jeune scénariste et réalisatrice marocaine décide de mettre en lumière, sans porter de jugement, ces nombreuses femmes célibataires stigmatisées dans son pays qui accouchent chaque jour au Maroc et encourent de lourdes sanctions judiciaires.


D'emblée un carton explicatif nous dévoile un article du code pénal marocain stipulant que les couples ayant des relations sexuelles "hors mariage" sont coupables aux yeux de la justice et donc passibles de "un mois à un an d'emprisonnement". La première scène s'immisce à l'intérieur d'un appartement lors d'un repas de famille festif où deux hommes se félicitent d'une collaboration contractuelle dont on saisit l'enjeu économique qui pourra semble t-il permettre une élévation sociale. L'héroïne qui donne son nom au film n'apparaît qu'au bout de quelques minutes lorsque son père lui demande de servir le dessert et le thé. Cette jeune femme est en retrait, symbolisant de façon hiérarchique sa place dans la famille et dans la société, avant qu'une dénégation naturelle vienne faire basculer sa vie et l'édifice familiale qui venait d'être consolidé par le contrat commercial. Sofia est enceinte et très vite sa cousine Lena prend conscience de son état et décide de l'amener de façon "clandestine" dans un hôpital où grâce à un collègue Sofia pourra accoucher à condition que d'ici 24h que la mère fournisse les papiers d'identité du père sous peine de prévenir les autorités du pays.


De manière concise voire malheureusement un peu précipité les premières scènes s'enchaînent trop rapidement écornant ainsi le côté "vraisemblable" d'un récit qui se veut très réaliste. La cinéaste adopte un style de thriller social à travers une réalisation se révélant parfois maladroite où en soulignant trop les intentions profondes. À travers les deux cousines Meryem Benm'Barek montre très vite ses intentions d'ausculter la fracture sociale et la frontière des classes qui séparent Sofia (arabophone prolétaire dans un milieu traditionnel) et Lena (francophone vivant dans un milieu plus privilégié progressiste).


Peu à peu, influencé par le cinéma d'Asghar Fahradi, la scénariste va exploiter la situation inaugurale pour explorer toute la société marocaine et en particulier la population de Casablanca poumon économique du Maroc et donc formidable amplificateur de ces nombreuses fractures sociales. Un projet ambitieux où les enjeux de pouvoirs de ce drame familial voit le jour sous la forme de transaction entre les familles du soi-disant père et de Sofia trouvant dans ce contexte des convergences communes dont elles pourraient bénéficier. Tout au long du film la mise en scène use de plans fixes ou de lents travellings pour venir disséquer l'âme des protagonistes en gros plans, l'utilisation de cadres dans le cadre renforce laborieusement les enjeux du film. Meryem Benm'Barek utilise la trajectoire tragique de Sofia (interprétée inégalement par Maha Alemi), représentation de la condition féminine dans le système patriarcal pour dénoncer la corruption généralisée et l'hypocrisie dans son pays, la pression sur les hommes et le fait que certaines femmes sous le joug de sa famille préfère ne pas s'en échapper et ainsi perpétuer la tradition et sauver les apparences...


Venez découvrir ce complexe parcours intime et familial au sein d'une communauté où la tradition règne encore au travers de ce sobre portrait amoral et sincère de Sofia dépeint par une prometteuse réalisatrice. Ambigu. Laborieux. Courageux.

seb2046
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le 7 sept. 2018

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