Sofia Coppola (Virgin Suicides, Lost in Translation, Marie-Antoinette), fille du grand Francis Ford Coppola, est une réalisatrice qui a su, au fil des années, façonner son propre style tout en développant une particulière et authentique personnalité d'auteur. C'est une cinéaste désormais accomplie qui entraîne tout de même des réactions mitigées au sein des critiques et du public. On peut tout aussi bien être hermétique que comblé face à ses oeuvres et pour ma part je rentre dans la deuxième catégorie. Cependant en traitant les mêmes thèmes, en les abordant de la même façon, j'avais peur que Somewhere, son dernier film, ne dégage un air de déjà-vu. J'étais donc craintif avant de me rendre au cinéma malgré le tabac qu'a fait le film lors de sa présentation à la 67ème Mostra de Venise où il décrocha le Lion d'Or. Une crainte cependant vite levée après le générique de fin, Sofia Coppola signe une nouvelle fois une oeuvre originale et bouleversante.



L'introduction donne clairement le ton du film. Si vous voulez de l'action et des péripéties, passez votre chemin. La cinéaste confère un rythme lent à son film (ce qui est plus ou moins habituel) et celle-ci veut juste nous peindre des fragments de vie, en nous laissant le soin d'observer, de comprendre, de juger, de ressentir. Le film s'ouvre sur un plan fixe d'une Ferrari en train d'effectuer des tours sur un circuit, nous sommes alors plongés dans le contexte, celui d'un pauvre homme riche, dont l'existence est basée sur un luxe oiseux, un ennui certain et une lassitude de tous les instants. Ce qui aura déjà gavé du monde à ce moment du film m'a au contraire mis en confiance, Coppola pose un rythme auquel elle sera fidèle tout au long des 1 heure 40 du film. On fait alors connaissance avec Johnny Marco, star hollywoodienne, interprété par Sthepen Dorff dont les rôles de premier plan au cinéma ont été plutôt rares, il devient donc intéressant de constater ainsi le parralèle entre l'acteur et son personnage.

Le nouveau film de Sofia Coppola se montre particulièrement intimiste, de loin l'oeuvre la plus intimiste qu'elle ait réalisée et sa mise en scène sert parfaitement son propos car celle-ci demeurant sobre, épurée et dénuée de tout effet de style n'appuie en rien les émotions et laisse juste son spectateur observateur. La volonté de Coppola est clairement de nous délivrer ces morceaux de vie, ces retrouvailles entre un père et sa fille (Elle Fanning) sans nous forcer à prendre une opinion. Dans ce sens de la mise en scène, Coppola rejoint Cassavetes (Husbands, Une Femme sous Influence...) et Altman (Short Cuts...) figures de proue du cinéma indépendant américain qui possèdent le même état d'esprit, un sens similaire de la mise en scène même si bien évidemment leurs styles se démarquent et restent propres à chacun. En tout cas ce qui est remarquable dans Somewhere c'est l'authencité des personnages, ils sont "vrais", sonnent juste et la réalisatrice nous les présente avec une grande finesse.

Stephenn Dorff offre une bien belle composition et l'alchimie avec la jeune Elle Fanning est parfaite. Cette histoire d'un père et de sa fille qui partagent quelques (rares) moments ensemble que ce soit dans une piscine ou devant Guitar Hero a su me toucher, me transporter. En fait l'intérêt du film est bien là, il demeure dans ces rares moments de tendresse qui succèdent à de longs moments d'ennui pour le personnage principal. Coppola filme l'ennui sans jamais le faire ressentir (du moins pas pour moi, inutile de préciser que l'ennui est subjectif). Ici les rencontres familiales sont prétexte à oublier les soucis du quotidien, et celles-ci bien que banales se révèlent être la source d'un bonheur qu'on croyait perdu chez ce personnage.



Il est évident que le film de Sofia Coppola est très personnel. La réalisatrice s'est en effet inspirée de sa relation avec son propre père pour imaginer Somewhere. Sofia Coppola étant née en 1971, elle a grandi avec un père très souvent absent à une époque où celui-ci était occupé à réaliser de grands films (ne citons que les deux premiers Parrain et Apocalypse Now pour faire plus court). Cette absence, cette joie des retrouvailles, nous les retrouvons dans Somewhere. La cinéaste propose ici un film s'immiscant malicieusement dans la vie de ses personnages, sans surenchère dramatique et tout en nous proposant une vision des à-côté du monde du cinéma, vision qui s'éloigne tout de même des clichés populaires et souvent représentés sur la vie de rêve des stars.

Somewhere se révèle être un produit de cinéma pur, une expérience unique. J'émettrais toutefois quelques réserves quant à l'utilisation assez abusive de marques de luxe en tous genres, j'ai horreur qu'un film soit une publicité géante mais en fin de compte ça va, nous ne sommes pas submergés non plus par cet aspect-là. Après je n'ai pas de défauts majeurs à signaler, la présence de la perche du preneur de son plusieurs fois perceptible à l'écran reste toutefois un mystère. Après il est certain qu'on ressent quand même une forme de frustration sur le fait de ne savoir énormément de choses sur les personnages mais Coppola montre de ce fait qu'elle reste fidèle à sa volonté d'observer et donc de rester à la surface sans proposer d'approfondissements superflus.



En résumé, Somewhere est un très bon film et la preuve que Sofia Coppola sait proposer quelque chose d'original avec un propos différent tout en gardant les thèmes chers à son coeur et le même style visuel. Partant d'une histoire toute simple, le film se montre juste beau avec une ambiance envoûtante et des personnages très touchants. Un petit bijou du cinéma indépendant américain, décidément Sofia, tu es la digne héritière de ton illustre papa.
Moorhuhn
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mes petits chouchous de l'année 2011

Créée

le 12 juin 2012

Critique lue 342 fois

Moorhuhn

Écrit par

Critique lue 342 fois

D'autres avis sur Somewhere

Somewhere
Aurea
6

Sofia Coppola, un art consommé du vide

Comment traiter du vide sidéral d'une vie, comment rendre l'ennui existentiel de quelqu'un qui a tout ou presque : succès, célébrité, argent, sexe, et qui finalement n'a rien, et cette vacuité-là...

le 27 juil. 2011

65 j'aime

25

Somewhere
Socinien
2

Dans la famille Coppola, je demande le père.

Parce que je commence à en avoir assez de me coltiner les films-playlist de sa fille : pas de scénario, pas de dialogues, rien. Juste de la musique d'ascenseur. S'ennuyer devant des gens qui...

le 6 janv. 2011

60 j'aime

26

Somewhere
bilouaustria
6

"Less than zero"

La drogue en moins, "Somewhere" pourrait être une adaptation assez fidèle du célèbre premier roman de Breat Easton Ellis écrit dans les 80´s, "Less than zero". Los Angeles, du fric partout, des...

le 3 nov. 2010

55 j'aime

17

Du même critique

Monuments Men
Moorhuhn
3

George Clooney and Matt Damon are inside !

Ma curiosité naturelle, mêlée à un choix de films restreint sur un créneau horaire pas évident et dans un ciné qui ne propose que 10% de sa programmation en VO m'a poussé à voir ce Monuments Men en...

le 12 mars 2014

60 j'aime

7

Eyjafjallajökull
Moorhuhn
1

Eyenakidevraiharetédefairedéfilmnull

J'imagine la réunion entre les scénaristes du film avant sa réalisation. "Hé Michel t'as vu le volcan qui paralyse l'Europe, il a un nom rigolo hein ouais?", ce à quoi son collègue Jean-Jacques a...

le 23 oct. 2013

59 j'aime

6

Koyaanisqatsi
Moorhuhn
10

La prophétie

Coup d'oeil aujourd'hui sur le film Koyaanisqatsi réalisé en 1982 par Godfrey Reggio. Point de fiction ici, il s'agit d'un film documentaire expérimental sans voix-off ni interventions, bref un film...

le 1 mars 2013

56 j'aime

9