Texte originellement publié le 10/07/2017 sur Screenmania :
https://www.screenmania.fr/film-critique/song-to-song-terrence-malick-2017


Pendant musical de Knight of Cups, Song to Song décline une dernière fois un cycle malickien organisé autour de la solitude, la mélancolie et la liberté. Il est toujours question de personnages qui confrontent leurs démons et vices, mais ici loin de la froideur des plateaux de cinéma du précédent film, plutôt dans l’effervescence du monde musical. Comme toujours, chez Malick, l’attirance de l’univers a toujours deux facettes : sa beauté bienveillante et naturelle face à sa froideur hélas si contemporaine et humaine.


Le Cantique des Cantiques (Song of Songs, en Anglais) de Terrence Malick est cette fois-ci une ballade (avec deux L) sauvage au travers d’une amitié autodestructrice. L’anonyme “BV” (Ryan Gosling), musicien arty, se voit ouvrir les portes d’un nouveau monde par le producteur Cook (Michael Fassbender). Ils orbitent tous deux, à tour de rôle, autour de la magnétique Faye (Rooney Mara), vivant tantôt une romance, tantôt une aventure impossible. Dans Song to Song, Faye est le repère de beauté et de pureté, fragile et quelque part inaccessible comme la Pocahantas du Nouveau Monde, elle aussi tiraillée entre un amour passionnel et rationnel. A contrario de ce dernier film, ici les amants se croisent et travaillent ensemble, vivant chacun deux rapports à la musique : passionné et transcendant pour BV, intéressé et détaché pour Cook. Mais Malick, qui ne s’en est jamais tenu aux approches binaires en dépit des apparences, se garde bien de tout jugement ; il est davantage désolé par leur vide intérieur respectif. Chacun erre à sa manière, toujours dans le Texas malickien, où l’on croise toutes sortes de figures, des adjuvants bienveillants traversant subrepticement le film : ici, Patti Smith, éclairante ; là Iggy Pop marmonnant quelques phrases. Malick mêle fiction et réalité : ailleurs, on est presque tenté de croire dans cette rock star en roue libre, ressemblant au Boss Springsteen version junkie, avant de reconnaître, l’espace de quelques secondes, Val Kilmer. Tout se mélange.


Song to Song, et une fois de plus le titre va dans ce sens, est de nouveau un film sur la recherche de la plénitude par l’autre. Mais, de film en film, Malick semble peut-être moins optimiste : la célébration de l’acte final de Tree of Life paraît ici bien lointaine. Peut-être, aussi, que Song to Song est une forme d’alter-égo pessimiste au plus lumineux Voyage of Time. La beauté pure se fait plus discrète, bien qu’il faille sans doute retenir comme plus belle séquence celle où un moineau devient en quelques sortes l’oracle des amants maudits Faye et BV. C’est également parce qu’il y a une sensation de finalité dans ce dernier Malick : il est au bout de sa propre saga, on le sait, Radegund, son prochain métrage, sera différent et reviendra vers un cinéma plus conventionnel. La quête de Malick d’un cinéma instinctif (bien plus que contemplatif) se solde par un constat éventuellement amer : qu’importe la bonté ou même la simple normalité des êtres du cinéma malickien (après tout, il n’y a jamais de personnage foncièrement mauvais), il semble difficile d’échapper à une forme de déception constante, un instinct qui pousse à détruire pour se retrouver ultimement seul.


Pour la première fois, le cinéma de Terrence Malick affiche aussi ses limites : arrivé au terme de son sujet, le réalisateur épuise sa collaboration avec son directeur de la photographie Emmanuel Lubezki. Sans forcément impliquer qu’il ne faille pas s’émerveiller à un moment ou un autre devant des images qui sont (parfois littéralement) renversantes, le systématisme du dispositif en courte focale a eu raison de l’audace des précédents métrages. Ici, on renoue par ailleurs avec des séquences plus construites et surtout des dialogues directs, élément qui s’était évaporé de Knight of Cups. Moins sensoriel que ce dernier, Song to Song génère moins de surprise, moins de désorientation. Une étape sans doute nécessaire pour Terrence Malick, qui n’empêche pas de se jeter pleinement dans son œuvre, en absorber sa mélancolie, et, enfin, se satisfaire d’une proposition de cinéma qui, quoi qu’on en dise, n’a pas d’égal.

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le 12 juil. 2017

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Lt Schaffer

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