"A-t-il bien travaillé à l'école ce Monsieur?"

Ce film nous emmène en immersion dans le monde d'Uber, à travers Ricky, homme d'une quarantaine d'années, père de famille, qui, pour pouvoir payer une maison et devenir propriétaire, va rentrer dans une boîte de livraison. Il va prendre des coups, se soumettre aux pires règles absurdes, s'accrocher, descendre...dans l'enfer du libéralisme le plus décomplexé.


D'entrée, je me confesse, j'ai pensé à Julie Graziani tout le long du film:
https://www.youtube.com/watch?v=Z9yM6wDjkIw


Ken Loach, lui répond, sans le savoir, sur trois points:


« Quand on a des problèmes d’argent, on ne divorce pas. »


La logique semble imparable, à deux on est plus solides, et puis deux salaires c’est plus qu’un salaire. Mais la précarité économique entraîne fatalement avec elle une montée d’incertitude, notamment dans le couple, les sentiments. Lorsque le personnage principal demande à sa femme où il en sont, cette dernière ne peut qu’exprimer son ignorance. Ignorance marquée de lucidité. Comment pourrait-on savoir cela quand on ne sait pas de quoi demain sera fait ? Comment peut-on partager de l’affection avec sa femme, connaître son fils quand on passe presque 16h en dehors du foyer ? Cette touchante scène, crue et sans artifice met le lien entre précarité économique et précarité affective et cela, intelligemment et sans pathos.
Alors oui, le divorce n’est pas la panacée, mais quand on a des problèmes d’argent, on n’aime pas comme on voudrait, on n’est pas l’homme de la famille comme on voudrait et fatalement le couple se délite. De plus faut-il encore rappeler, que le divorce, bien qu’il augmente est encore vécu comme un drame?


« A-t-elle bien travaillé à l’école cette Dame ? »


Dans le film de Ken Loach, il y a aussi, la question de la responsabilité et la question du choix. Pour le personnage principal, l'école est un moyen de s’en sortir et de pouvoir choisir plus facilement son avenir. Classique. Le père de famille semble, en quelque sorte, épouser cette responsabilité. C’est d’ailleurs pour ça, qu’il se soumet aux pires tâches, il n’a pas le choix. Là encore, il y a une forme de culpabilité, mais pas pathétique. Cette culpabilité le père de famille la rachète en travaillant plus dur et en sortant sa famille de la merde. Le fils, lui est au lycée, il a encore le choix. Mais comment peut-il considérer que l’école puisse lui permettre un avenir radieux en travaillant, quand il voit son propre père travailler jusqu’à l’absurde ? La petite fille est aussi intéressante. Son père la voit comme la plus intelligente, "le cerveau", et donc avec le plus d’avenir, mais sa part de choix ne se réduit-elle pas à mesure qu’elle se retrouve de plus en plus seule chez elle ? Pourra t-elle subvenir à ses besoins ou devra t-elle aider ses parents ? Son père pourra t-il lui payer une école alors qu’il travaille pour rembourser son propre outil de travail ?
Alors, oui nous sommes responsables de nos choix mais nous ne somme pas tous dans le même champs des possibles. Enfin, nous ne sommes pas tous responsables du caractère défectueux de l'ascenseur social.


"Un moment donné quand on se rajoute problème sur problème..."


Dans le film, la femme explique l'un de ses rêves, récurrent. Elle est dans un sable mouvant dont elle ne peut se sortir. Lorsque l'on est dans une spirale négative, les choix que l'on fait semblent empirer, la merde attire la merde, et difficile de faire les bons choix quand on est tiré vers le bas. Cette famille a l'impression de tout faire pour s'en sortir, pourtant ils n'y arrivent pas, les solutions devenant vite des problèmes. Il ne s'agit pas ici de se rajouter des problèmes mais de trouver des solutions qui ne soient pas problématiques.


Pour conclure, le film de Ken Loach ne semble pas des plus optimistes malgré tout et ne donne pas concrètement des pistes pour s’en sortir. Toutefois, il offre des clés de compréhension opposables aux plus zélés des partisans du libéralisme. C’est déjà ça...

Carlito_March
8
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le 9 nov. 2019

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Carlito_March

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