Souvenirs goutte à goutte
6.9
Souvenirs goutte à goutte

Long-métrage d'animation de Isao Takahata (1991)

C'est tout un art que de retenir notre attention en proposant une histoire pas des plus originales et sans la créativité foisonnante que peut offrir l'animation. Il ne se passera pas grand chose, pas d'action débridée, de suspense ou de rêves si ce n'est ces souvenirs qui viennent goutte à goutte réveiller notre héroïne aux deux univers parallèles. D'un Japon de 1966, la petite Taeko vit dans un environnement familial majoritairement féminin mais où seul le père régit toujours de ses décisions les faits et gestes de sa tribu. 1982, devenue femme active et célibataire elle n'est pas plus à l'aise dans une société encore rigide, où le mariage lui est fortement recommandé.


Mais ses souvenirs récurrents, son voyage à la campagne et sa rencontre avec Toshio, bien plus volontaire à balayer les contraintes, en changeant radicalement de vie, mèneront la jeune femme à faire définitivement un choix.
Si Toshio est un jeune homme moderne en lutte avec le patriarcat, on regrette certaines traditions bien tenaces malgré la dénonciation qui semble en être faite. Malgré le féminisme réputé de Isao Takahata, il est bien regrettable de réduire le don de soi, à une sorte de légitimité à exister.
Plus ou moins autobiographique de l'enfance de Hotaru Okamoto scénariste du manga original de Yūko Tone publié en 1988, Takahata avec les studios Ghibli nous sert là une sorte d'interlude à leurs principaux travaux. Ceux qui ont apprécié la princesse Kaguya, ses dessins épurés et ses déclinaisons de mouvements tout en souplesse, retrouveront quelques envolées timides, les teintes parfois vaporeuses et laiteuses, avec un soupçon d'onirisme propre au metteur en scène et toujours sa qualité graphique. Ici pas d'interventions surnaturelles ou d'enfance sacrifiée mais comme souvent chez le cinéaste, l'importance des liens familiaux et comme pour Kaguya, le refus des conventions dénonçant le mal-être avéré d'une vie citadine, pour marquer, ici, la crise existentielle de Taeko.


Il faudra se laisser emporter par ce voyage initiatique sans grand sursaut, mais où la multitude des personnages reste parfaitement lisible et le dessin nourri de détails et de réalisme.
On sera pourtant emballé par celui qui s'en détachera le plus, par son aspect hors du temps baigné d'une luminosité éclatante de blancheur. Une des plus belles scènes qui marque si joliment les tourments du jeune âge. Deux enfants, plantés là, au bout milieu d'une ruelle, silencieux, intimidés et saisis par leur rencontre, immobiles, marque par sa grande force évocatrice. Viendra avec tout le naturel de cet âge, le sourire désarmant de Hiro et Taeko de s'envoler littéralement dans les nuages, comblée de bonheur, et nous d'en être tout remués. Mais quel dommage que ce si charmant jeune homme disparaisse de la narration...
Mais la magie opère. Le portrait de l'enfance est une réussite d'émotion et de nostalgie qui parleront à nombre d'entre nous, et le temps qui passe inéluctablement, nous rappelle à tout ce qui a été perdu. Avec un rythme qui ne faiblit pas, malgré la lenteur de la narration, les deux univers marquent par leur différence et se complètent dans une belle fluidité. La période enfantine se teinte de couleurs pastels, au flou ambiant, alors que le temps présent, appuient ses traits et rend les couleurs plus intenses. Nous donnant à voir les activités de la ferme et de connaître, par la même occasion, l'utilisation et les étapes à la fabrication du colorant de la fleur de Carthame, Takahada semble répondre aux préoccupations environnementales de Myasaki, par l'importance d'une agriculture biologique et rappelle à l'homme ses responsabilités.


La morosité d'une vie citadine et celle plus lumineuse de la vie à la campagne pour Taeko adulte, à ceux de son enfance, parfois bien compliquée, Taeko remporte l'adhésion par une certaine maturité et sa tendance tenace, à la rébellion. De considérations terre-à-terre du à cet âge, aux accès capricieux, bouderies et silences renfrognés, parfaitement retranscris, tout est affaire d'expressions et de gestes, d'une simplicité confondante. Cette période enfantine, suffisamment longue pour s'en imprégner, fera, contre toute attente, l'attrait principal de cette histoire, tout comme on suivra avec intérêt les débuts d'une relation faite de discussions et d'échanges sans contrainte, qui nous fait espérer que nos deux amoureux, changeront définitivement la donne.

limma
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le 23 janv. 2022

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