La deuxième guerre mondiale a inspiré son lot de films de combat, illustrant virtuellement tous les champs de bataille possibles : la guerre du Pacifique, la libération de la France, l’Afrique du nord, la Russie… parmi cet inépuisable filon se trouve le sous-genre du film dit de "camp de prisonniers", qui se décline également sous plusieurs formes. Immortalisé par des œuvres devenues cultes telles « Le Pont sur la rivière Kwai » ou « La grande évasion », le film de camp de prisonniers développe généralement deux grands thèmes : les relations parfois tendues, parfois presqu’amicales, qu’entretiennent les prisonniers avec leurs geôliers ; et la manière dont ils affrontent le quotidien.


Coécrit, produit et réalisé par Billy Wilder, « Stalag 17 » met en scène un camp de prisonniers de guerre allemand, où sont enfermés, entre autres, des aviateurs américains abattus par la Luftwaffe. Ces hommes, tous au rang de sergent, sont sous la garde du sergent Schulz dans le camp administré par le colonel von Scherbach.


Les consignes des prisonniers de guerre américains sont claires : tenter de s’évader est un devoir. Avec la discipline exemplaire des forces armées, les pensionnaires américains du Stalag 17 se sont organisés, distribuant des rôles à chacun en fonction de ses compétences : un chef de baraquement, un responsable de la sécurité, etc. Des tensions naissent toutefois au sein de la bande, car certains ne souhaitent pas jouer collectif. Le dénommé Sefton, par exemple, organisateur d’évènements clandestins et en bons termes avec les gardiens allemands, préfère couler des jours tranquilles et ne se soucie guère du sort de ses compatriotes.


Le film s’attache à décrire la vie quotidienne des militaires américains au sein de leur camp, et développe une intrigue basée sur la présence d’un espion allemand infiltré parmi les prisonniers. En effet, leur ange gardien semble au courant des moindres faits et gestes des yankees : tentatives d’évasion, introduction de matériel frauduleux (des radios pour se tenir au courant de l’avancée des armées Alliées), exploits commis derrière les lignes ennemies…
La présence indiscutable de cette "taupe" parmi les aviateurs sème la discorde dans la troupe et permet au film de dérouler sur les efforts entrepris par les prisonniers pour tenter de démasquer l’espion.


La force de ce genre de film réside dans l’alchimie entre les acteurs, et la manière dont le réalisateur va donner de la substance à chacun de ces personnages pour les rendre attachants. La réussite est totale ici ! Avec son talent coutumier pour dépeindre des protagonistes hauts en couleur, Billy Wilder donne à voir toute une clique de "gueules" inoubliables. Entre le patriotique et bouillant "Duke", le calme et efficace chef de la sécurité, Price, l’égoïste et cynique Sefton, et le duo de clowns formé par la brute épaisse "Animal" et son compère, l’escroc Shapiro, il n’y a vraiment pas moyen de s’ennuyer une seconde. Chacun des membres de la bande possède une personnalité bien unique, s’illustre à un moment donné du film et permet de réguler la tension. En outre, Wilder prend soin de parsemer le film d’un grand nombre de petits détails qui améliorent l’immersion du spectateur auprès des aviateurs que l’on suit au quotidien. On s’ancre, par exemple, temporellement avec l’obsession du dénommé "Animal" pour l’actrice Betty Grable et sa dépression consécutive au mariage de cette dernière. Les manigances de Sefton, maître absolu de l’économie parallèle du camp – monnaie de base : la cigarette – et son organisation de courses de rats, constituent une parallèle ironique avec le mode de vie de ces hommes hors temps de guerre et illustre dans le même temps l’ingéniosité déployée par les soldats prisonniers pour affronter le quotidien. Enfin, le réalisateur ne se prive pas d’adresser une pique aux absurdités de l’administration, laquelle trouve toujours le moyen de réclamer des paiements en retard, même s’il est pour cela nécessaire d’adresser du courrier à ses héros tombés à l’autre bout du monde…


L’autre atout principal de « Stalag 17 » est l’intelligence de son scénario, la crédibilité et la cohérence de ses enjeux. La présence d’un traître inconnu du spectateur permet de maintenir le suspense tout au long du film, alors que les personnages – comme le public – cherchent à découvrir l’identité de la taupe. L’idée est également exploitée jusqu’au bout, ce qui occasionne, par exemple, des débats sur la conduite à adopter : supprimer le traître, sous peine d’une punition sévère ? le démasquer publiquement, au risque de mettre en danger l’ensemble de la troupe ? Les enjeux sont importants (car, à tout moment, l’espion peut faire échouer une tentative d’évasion et causer la mort d’américains) ; la chasse, tendue et haletante.


Ce qui m’impressionne toutefois le plus dans ce film, c’est cet incroyable sensation de fluidité et de simplicité qui se dégage, scène après scène. Tout s’enchaîne avec le plus grand naturel, chaque séquence paraît avoir été calibrée à la seconde près pour durer exactement le temps idéal. J’ai souvent ce sentiment dans le cinéma de Billy Wilder, qui s’impose décidément comme l’un des plus grands de tous les temps. Voir un film de Billy Wilder c’est un peu comme regarder Roger Federer jouer au tennis : le type maîtrise à tel point son sujet que tout semble si facile que l’on en vient à oublier le travail monstrueux qu’il y a derrière.
Enfin, voir un Wilder c’est encore mieux, car Federer fait parfois des fautes assez grossières…


La manière dont Wilder a de mettre en scène son film, de présenter ses personnages et de les faire interagir happe le spectateur avec une force peu courante, de telle sorte que l’on se passionne très facilement pour les enjeux du métrage. L’équilibre de tons, entre le comique de répétition du duo de clowns et la dureté de certaines scènes (l’exécution sommaire des évadés), permet à la fois de replacer les évènements dans leur contexte – un camp de prisonniers pendant la guerre la plus meurtrière de l’histoire – tout en y adjoignant une légèreté de ton bienvenue. Au-delà de l’intrigue, intelligente et bien ficelée, « Stalag 17 » est un film très humain, qui dresse le portrait d’une bande d’hommes en désarroi, qui apprennent à vivre les uns avec les autres pour subsister. On pourra, au passager, louer les qualités d’interprétation de tous les comédiens, William Holden en tête, sans oublier la présence aussi incongrue que bienvenue du grand Otto Preminger dans un rôle de colonel allemand onctueux. Réaliste, immersif et passionnant, « Stalag 17 » est un film d’amitié doublé d’un film de survie, et probablement l’un des plus grands films de camp de prisonniers jamais tournés.

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le 3 févr. 2017

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Aramis

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