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Car il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus...

Celui qui entre dans la Zone entame un parcours d'épreuves, de tourments et de doutes harassants avant de parvenir, peut-être, c'est fort rare, au seuil de la Chambre. Là, un ultime acte de volonté doit être posé : celui de franchir, de tout son cœur et de toute son âme, dans un élan de pure et noble énergie, le seuil de la Chambre afin de se voir réaliser le vœu le plus cher que nous ayons au fond de nous ; avoir la foi.

Le Stalker, notre guide dans ce périple de recherche de la foi, nous prévient : dans la Zone, la ligne droite n'est pas le chemin le plus court. Aussi, force gens disparaîssent dans la Zone, par orgueil, imprudence, que sais-je, à cause de tous les travers de notre nature dégradée. C'est pourquoi, explique le Stalker, la Zone est plus clémente à l'égard des malheureux, de ceux aux lendemains silencieux.

Le film expose ces plans si symboliques : à celui qui veut pénétrer dans la Zone, le gouvernement oppose tout d'abord rangées de barbelés et régiments. Plus encore, comment ne pas songer à cette photographie symbolique de la Zone, où figure ce cimetière de chars détruits et de bandes de munitions éparses peu à peu ligaturées par le lierre et les hautes herbes qui serpentent librement sur ces vestiges ?

Venons en aux personnages, lesquels forment un condensé explicite des différents caractères de la nature humaine. Trois hommes suffisent pour nous représenter à travers les époques : l'homme, animal d'une remarquable constance...

Le premier est professeur. Un esprit technique, aussi désincarné que les rouages d'une mécanique, mais rouillée. Nous l'appellerons "le matérialiste".

Quelques scènes du film permettent de saisir le rapport du matérialiste à la foi. Celui-ci prétendit hardiment qu'il possédait un "âmomètre", c'est à dire un appareil pouvant mesurer, quantifier et disséquer l'âme humaine (chez nous un chirurgien français prétendait similairement ne croire à l'existence de l'âme que lorsqu'il la tiendrait sous son scalpel)...

Une confrontation entre le Stalker et le matérialiste permit de transmettre un des plus beaux messages du film. Parvenu au bout de la traversée d'un tunnel sombre et profondément angoissant, le matérialiste, qui était seul et en tête du groupe, se saisit d'un revolver qu'il avait dissimulé après qu'une frayeur se fût emparée de lui. Affolé par cette expédiant aussi vain que grossier, le Stalker surgit alors pour le convaincre d'abandonner son arme, sans quoi le matérialiste serait perdu. Il lui dit alors : "lâchez votre arme ! n'avez-vous pas vu tous ces chars ? ne savez vous que dans la zone tout cela est inutile ?"

Notre second protagoniste est écrivain, c'est l'intellectuel qui méprise souverainement le petit professeur tout emplit de ses formules de chimie. Nous le nommerons 'l'esprit fort", sobriquet pour cet intellectualisme tellement satisfait de lui-même qu'il prétend s'élever au dessus de tous, rire de tout, et surtout de Dieu.

D'une façon surprenante, qui déconcerte le Stalker et donc le spectateur, l'esprit fort, pourtant l'incarnation paroxystique de l'orgueil et de l'impudence humains, qui méprise à plusieurs reprises les règles de la Zone, parvient au bout de l'exploration. Le Stalker est alors convaincu qu'il a trouvé un homme rare, béni. Pourtant, il n'en est rien. Parvenu au terme du périple, alors que nos trois héros se trouvent dans la chambre, le matérialiste initie la rébellion contre le Stalker, notre messager christique : il menace de réduire à néant la Chambre et la Zone avec un engin nucléaire qu'il dissimulait. Le Stalker tenta alors de s'en emparer mais l'esprit fort se jeta sur lui : le matérialiste et l'intellectuel se réunissaient dans leur but commun, la destruction de la foi.

C'est alors que ces deux moyens de destruction (d'efficacité tout à fait inégale) furent représentés. Le matérialiste grossier et simple dans sa haine, hésita, puis abandonna vite sa bombe. Cependant, le venin de l'esprit fort, cette intelligence corrompue, s'empara aisément de la bêtise du matérialiste, et s'instilla dans les esprits. Il accusa le Stalker d'être hypocrite, de choisir dans un arbitraire infâme qui vit et qui meurt, de dispenser de la vie des gens dans un despotisme inique et hypocrite.

Seul, accablé par les avanies et abandonné par ceux en qui il croyait, le Stalker vécu l'agonie du Mont des oliviers. Sa complainte déchirante sur la foi, seul refuge des bagnards du Goulag, son désintéressement à essayer de mener les hommes de bonne volonté à la Chambre, tout cela, fut sa plaidoirie d'honneur. Mais l'esprit fort ne fut point ébranlé, et le matérialiste frustre suivit servilement l'intellectuel dans son refus de croire, son refus de franchir le seuil de la Chambre.

Le film se conclut sur le chant du cygne du Stalker, le testament de ses croyances livré à sa femme. Le guide, âme lumineuse, humble et charitable, se lamente sur le vide qu'il contemple béant, dans les yeux de ces gens qui refusent de se sauver en croyant. Ainsi, c'est décidé : il n'amènera plus jamais personne à la Chambre, et pas même sa femme, de qui il se met même à douter.

Voici donc que la conclusion de ce chef d'œuvre est empreinte de la sublimité noire et fataliste de l'âme russe. Le testament du Stalker est le poème du Grand Inquisiteur des Frères Karamazov : accuser le Christ d'avoir donné la liberté aux hommes de choisir. Pourquoi être libre, si c'est pour tant de malheur, et se perdre ? Dieu, nous t'en voulons pour ça ! vois ces regards vides, sans reflet, vois le spectacle désolant de ton peuple libre !

Maintenant tout est perdu.

"Alors le roi dit aux serviteurs : “liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.” Car il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. »"

Tintin-Habile
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le 14 nov. 2023

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