Le spoiler est puissant avec cette critique.


Les fans de Star Wars sont comme les militants de n'importe quelle cause, on peut les classer en deux catégories. Il y a les passionnés qui veulent s'exprimer sur leurs sujets favoris, partager leur ferveur et suivre des débats pour expliquer leur point de vue, tout en gardant la possibilité d'en sortir eux-mêmes enrichis. Et puis il y a les fanatiques qui n'ont d'autre souhait que d'écraser ce qui s'éloigne de leur précieuse vision en interdisant toute possibilité de discussion, de compromis ou de remise en question. Ce sont malheureusement ces derniers que l'on entend le plus puisque ce sont ceux qui hurlent le plus fort, parvenant toujours à étrangement me surprendre alors que je ne trouvais rien dans ce Dernier Jedi de susceptible de courroucer des gens. Ma naïveté me fait oublier à quel point une large frange de la population peut se montrer immature en comparant un simple film en viol de l'enfance. Comme je ne suis pas plus fan que ça de Star Wars tout en aimant certains épisodes, je découvrais ce nouveau film sans appréhension particulière, espérant simplement me sentir moins blasé que par le VII.


Ce qui m'énervait avec le VII était sa structure que je trouvais trop calquée sur celle du IV, de manière trop visible pour que je me laisse porter. Ce VIII reprend des éléments clairement identifiables du V et du VI (la fuite des rebelles dans l'espace, l'entraînement Jedi, la défense de base face aux quadripodes, le triangle Jedi/Sith qui doute/Maître Sith trop balèze) mais les agence d'une manière qui rend le déroulement beaucoup moins limpide et automatique que dans la tentative de J.J. Abrams et réserve quelques authentiques surprises (et aussi quelques déceptions il faut bien le reconnaître). Cela peut paraître bête mais cela suffit à me donner envie de regarder la suite. Il y a également Kylo Ren qui trouve enfin grâce à mes yeux, sa révélation dans le VII ne m'ayant pas apporté d'autre réaction qu'un "Oh merde, encore un Anakin immature et torturé". Le personnage prend forme, il exprime sa frustration d'une manière plus touchante que lors de ses accès de rage passés qui le tournaient en dérision. Son sentiment d'impuissance et son envie de retrouver de la considération le rendent enfin attachant et ses discussions télépathiques avec Rey offrent une ambiguïté et une intimité délectables. Il est d'ailleurs très bien vu de leur faire échanger continuellement leurs sabres durant leur entrevue. Ce que je considérais comme les deux principaux points faibles du VIII se trouvent ainsi corrigés.


Il y a aussi la question de la Force, de ce qu'on peut se permettre ou pas avec Elle qui posera éternellement débat. Je n'étais pas satisfait de la façon dont Elle était employée dans le VII, je trouvais son utilisation trop commode et pas assez bien amenée pour me faire accepter son apprentissage express. On m'a souvent rétorqué que la Force autorisait déjà des aides miraculeuses dans les précédents films, mais le problème n'était pas qu'Elle donne des coups de pouce à des héros qui se donnaient à fond au moment où ils atteignaient leurs limites, c'était qu'Elle le fasse aussi rapidement. Le premier pouvoir que Rey apprenait était d'ailleurs celui que je trouvais le moins Jedi et le moins instinctif de tous, à savoir la manipulation mentale (je l'ai toujours trouvé moyen ce pouvoir, ne me ressortez pas les classiques). Pour l'affrontement de fin du VII la Force se manifestait dès le début d'une manière que je trouvais un peu trop simple et facile, j'y voyais moins une transcendance qu'un level up expéditif pour justifier un combat épique. Dans le VIII je trouve que c'est mieux amené. Les communications télépathiques se sont présentées progressivement dans un champ-contrechamp soigné, nous laissant librement constater que c'est possible sans que cela ne renverse immédiatement la situation. La manière dont Kylo Ren prépare son meurtre en donnant à Snoke une fausse interprétation de ses prémonitions était également très bien vue et l'épilogue avec l'enfant qui use discrètement de la Force offre une belle valeur symbolique sans qu'Elle ne serve de simple Deus Ex Machina. Pour Yoda qui se permet de lâcher la foudre depuis l'au-delà je suis un peu plus sceptique, mais je vois ça davantage comme un effet de mise en scène que comme une facilité scénaristique et je m'en accommode donc sans mal. En revanche le moment Peter Pan de Leia est beaucoup plus embarrassant. Je pensais que cela servait à nous en apprendre plus sur Leia qui maîtrise donc la Force, mais Rian Johnson a confirmé qu'elle n'avait reçu aucun apprentissage, que c'était juste l'occasion pour lui de faire une belle scène sur un personnage dont l'instinct de survie serait tellement fort qu'il déclencherait instinctivement l'utilisation de la Force. Désolé mon gars, mais dans l'exécution ça sonnait surtout comme un gros délire gratuit et assez ridicule dont le film n'avait pas besoin. Il y a aussi l'hologramme de Luke qui est en soi pertinent pour des raisons que je détaillerais plus loin, mais qui paraît sortir du chapeau.


Je trouve donc des hauts et des bas à ces utilisations de la Force, mais je trouve qu'elles ont le mérite d'être globalement utiles au récit et pas simplement d'offrir des pirouettes scénaristiques. Chacun aura son opinion à ce sujet, pour moi ce n'est pas un motif d'agacement contre le film. Il me sera plus difficile d'en juger pour les personnages de Luke et Leia car je n'arrive tout simplement pas à les reconnaître. Ce n'est pas un problème du film, mais quand la voix française de Luke change, que la moitié inférieure de son visage devient cachée par une épaisse barbe et sa moitié supérieure recouverte de rides tandis que ses cheveux ont changé de couleurs et que son caractère a naturellement évolué après tant d'années, je ne réussis pas à réaliser que j'ai affaire au Luke que je connaissais. Je le considère comme un nouveau personnage et ne pourrais donc pas juger de sa cohérence, encore que cette dernière est difficile à évaluer pour quelqu'un qui a eu tout le temps qu'il faut pour changer. Je dois cependant reconnaître que le personnage est charismatique et intéressant à suivre. Pour une fois le mentor ne sert pas juste à représenter un pic de maîtrise à dépasser doublé d'une figure paternelle, il a ses propres préoccupations qui vont au-delà de la transmission du savoir. Il doute, il est en proie au remord et il a ses propres comptes à régler avec un apprenti qu'il a lui-même contribué à faire basculer par manque de confiance. C'est là qu'on peut s'estimer heureux que le rôle du mentor soit attribué à un personnage que l'on connaît déjà, cela a sûrement incité les scénaristes à ne pas le limiter à un rôle-fonction.


Néanmoins j'ai été déçu par l'apprentissage de Rey sur cette planète isolée. Le choix a été fait de ne pas se focaliser sur son entraînement, ce qui peut donner l'impression qu'il se fait sans difficulté. C'est dommage pour moi qui aime ces phases là, mais je respecte cette volonté de parler d'autre chose durant ces séquences. Les discussions avec Kylo Ren m'ont plu, la séquence des miroirs aussi et j'apprécie de voir Luke servir de véritable personnage principal de cette partie. Mais j'ai malgré tout eu du mal à sentir que l'entraînement était terminé. La scène où Luke décide de disparaître dans la Force parce que sa tâche a été accomplie était magnifique en soi, mais elle ne me touchait pas parce que je ne trouvais justement pas qu'il avait fini. Rey me paraît très loin d'être à l'abri du Côté Obscur dont on a pourtant du mal à ressentir la proximité, Luke s'est contenté d'une mise en garde à ce sujet et elle est toujours sur le fil de rejoindre Kylo Ren. L'intervention du dernier Jedi lors du climax, extrêmement réussie et esthétique, a permis de sauver la Rébellion mais ce n'est que partie remise. Il a donné une leçon à Kylo Ren mais le conflit qui les sépare n'est pas réglé pour autant. Son coup de pouce est décisif, mais je ne trouve pas qu'il y a de quoi partir confiant en l'avenir et ça m'a tué la force de son départ.


Pour parler plus généralement de ce Star Wars, je suis comme tout le monde : j'adore sa réalisation. Il y a des travellings en pagaille, les batailles spatiales à ras des croiseurs impériaux impressionnent, la déchirure mutique en vitesse lumière et les terres blanches teintées de traînées rouge sang de Crait vont durablement marquer les mémoires tandis que la salle de Snoke est très réussie. Je trouve l'humour bien dosé, les blagues ne m'ont absolument pas parues hors de propos, sauf le dialogue de sourd entre Hux et Poe qui m'a laissé un sale arrière-goût par la victoire ridicule de ce dernier. Les blagues ne s'interposent pas dans l'intensité dramatique (sauf peut-être Luke qui enlève le grain de sable de son épaule après s'être fait tiré dessus), elles trouvent bien leur place. Comme beaucoup j'ai été déçu par le traitement de certains personnages, comme Finn ou Phasma auxquels les scénaristes cherchent désespérément une raison d'être dans la trilogie, ou bien Rose et le hacker à qui il manque quelque chose pour qu'on se souvienne d'eux. En revanche Poe et Kylo Ren ont énormément gagné dans cet épisode qui leur offre une vraie présence. On pourra s'attrister de la disparition précoce de Snoke, mais elle assure une émancipation brutale de Kylo Ren qui ne manque pas de piquant. Il sera intéressant de voir comment il dirigera le Premier Ordre qui semble n'être pour lui qu'un moyen de se trouver et dont il voudra vraisemblablement se débarrasser.


Contrairement à certains je ne suis pas gêné par les références car je trouve qu'elles font sens et ne constituent pas juste un attrape-nostalgique. Après des suites ou reboots qui ont eu la fâcheuse tendance à reprendre des scènes ou répliques de leurs aînés par racolage ou fainéantise, il est normal d'être méfiant et de soupirer automatiquement à la moindre réutilisation d'une figure connue. Mais amener R2D2 à rediffuser à Luke l'appel de détresse du IV, ce n'est pas simplement recycler une séquence pour offrir une madeleine de Proust gratuite. Déjà c'est la seule manière pour R2 de communiquer d'une manière immédiatement compréhensible par le public, et surtout il utilise un élément qui avait déjà poussé Luke à l'aventure et qui est donc tout à fait capable de jouer avec ses sentiments. Luke lui-même trouve ça bas qu'on perce ses défenses de cette manière, mais il est logique que ce soit efficace. Quant à l'intervention de Yoda, j'ai envie de dire : pourquoi n'apparaîtrait-il pas alors qu'il a acquis une forme d'immortalité ? Il est un guide pour Luke, ce dernier a besoin d'aide alors il se manifeste comme l'oncle Ben s'était manifesté dans le V. Sa présence permet d'offrir une introspection à Luke, ce n'est pas du fan-service déplacé.


Les séquences sur Canto Bright ne sont pas bien palpitantes, je rejoins le consensus à ce sujet. Pourtant cette escapade a tout le potentiel pour offrir un moment d'aventure pulp qui devrait plaire au plus grand nombre, mais ça ne prend pas. Il n'y a pas de souffle, pas de punch, pas de mystère ou d'inquiétude, c'est tristement plat. En plus de ça j'ai eu beaucoup de mal à me faire à l'idée de la poursuite spatiale mollassonne qui se fait en arrière-plan, juste après l'attaque rageuse du Premier Ordre. Pourtant Canto Bright n'est pas une étape inutile. Déjà j'aime bien le fait qu'elle torde le coup à un cliché qui m'agace : le coup de "Un seul homme peut accomplir cette tâche". Dès que quelqu'un sort ça, j'ai envie de lui demander s'il a la prétention de connaître absolument tout le monde pour oser affirmer qu'il n'y a pas 0 ni 2 mais bien 1 personne à même de réussir l'exploit demandé. Là il y a Benicio del Toro qui se pointe et qui signale que lui aussi il existe, lui aussi il peut s'en charger même si Kanata n'a pas entendu parler de lui (par contre il les trahit, donc quelque part elle a raison en disant qu'elle ne connaît qu'une seule personne de confiance pour ce rôle).


Ensuite l'intérêt de l'escale à Canto Bright est de présenter le thème fil rouge du film, celui du sauvetage qui prime sur la destruction par le sacrifice. "Ça valait le coup de mourir pour ça" dit Finn en pensant à la pagaille déclenchée chez les monégasques. Rose libère leurs destriers et signale que c'est ça qui valait le coup. Rose, c'est celle qui a perdu sa sœur parce qu'elle a choisi de se sacrifier pour détruire un vaisseau. Il est naturel qu'elle choisisse la voie opposée au point d'empêcher Finn de se sacrifier, ce qui fait beaucoup de bien après tous ces films qui ont la dangereuse tendance à glorifier les héros qui meurent pour les autres ("Allez vas-y, meure à ma place comme Jesus ! Tu iras au Paradis mec !"). On retrouve ce thème avec le choix de Luke d'affronter Kylo Ren sans combattre et en lui montrant la futilité de ses attaques, c'est ce qui fait l'intérêt de l'hologramme. Il y a enfin les thèmes de l'échec et de la rébellion contre son camp qui donnent une belle saveur à un film qui ne manque pas d'atout ni de personnalité. Il est cependant dommage qu'il comporte au milieu des points qui me déplaisent ainsi que des moments mous. Ces moments sont cependant contrebalancés par des scènes très intenses ou spectaculaires et de nombreuses bonnes initiatives. Enfin une héroïne qui est forte parce qu'elle a saisi la balle au bond et pas parce que c'est la fille de quelqu'un d'important ! J.J je ne te conseille pas de gâcher la beauté de cette banalité pour un simple twist.


Je suis sorti de ma séance un peu déconcerté, mais le recul me montre que j'ai majoritairement apprécié les décisions du réalisateur et surtout sa réalisation. Je comprends malgré tout qu'on ne l'apprécie pas pour pas mal de bonnes raisons. Je n'étais pas perpétuellement emballé mais il est allé dans la bonne direction et ce n'est pas si fréquent que l'on dise ça d'une suite. Ou bien est-ce là le fruit de la rage imméritée de certains fanatiques ("trop de femmes", "film de SJW multiculturel," "fait des trucs qui sont pas du Star Wars", "se réapproprie l’intouchable", "Disney", "ils ont tué mon enfance") qui me donne envie de valoriser ses qualités ? Si c'est le cas, je peux les remercier pour leur bêtise. J'ai lu un tweet de quelqu'un qui trouvait un remède pour lutter contre les moments de déprime où elle se dévalorisait. Elle imaginait que Donald Trump lui disait la même chose et ça l'incitait à reprendre du poil de la bête pour l'engueuler.

thetchaff
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le 3 janv. 2018

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