Still Walking, c'est du Ozu 2.0, c'est-à-dire mis à jour et modernisé. Sauf qu'avec Kore-eda, on parle moins de mariage que de famille recomposée prenant sa source autour d'un drame initial, ici la perte d'un fils aîné, autour duquel les parents se retrouvent pour l'occasion, pour se rappeler du passé, mais aussi vivre des moments ensemble, et penser à l'avenir. Moments intimistes composés de moments légers derrière lesquels se masque une tristesse palpable, voilà ce qui nous attend dans cette évocation douce-amère du deuil.


Lent mais pas trop lourd dans son déroulement, même si on tourne beaucoup autour du proche disparu, figure centrale du film, l'emphase est plutôt mise sur la vie avec de belles tranches d'existence, à travers des séquences de cuisine, des dialogues (bien écrits) qui parlent de tout et de rien, et des moments teintées de poésie où on touche à l'essentiel. Cela dit, on nous rappelle bien vite les conséquences de ce deuil qui a affecté toute la famille, et qui a particulièrement abîmé la relation entre le père et le fils cadet qui s'est mariée avec une veuve, que l'on compare injustement et en sa défaveur, à l'aîné disparu, tandis que la mère accueille la mémoire de son fils de manière touchante dans une bonne partie de ses échanges (dont l'émotion culmine dans la scène du papillon). Mais le scénario ne se contente pas de cela et traite aussi de la famille japonaise contemporaine dans son ensemble avec un regard juste et pertinent, des contrastes entre modernité et tradition, des principes ou valeurs laissées par les anciens que les nouvelles générations perpétuent ou pas.


J'ai moins accroché à ce film qu'à Tel père tel fils, mais c'est vraiment subjectif, car ils partagent au fond les mêmes caractéristiques: même sens de la mise en scène toute en retenue, une direction d'acteurs impeccable, et des relations interpersonnelles travaillées à travers des dialogues à la fois riches de sens et naturels dans le ton. Ce qui m'a surtout plu ici, c'est cette façon dont est souligné différemment l'effet du temps d'un personnage à un autre (comme le souvenir qui apparaît comme un obstacle et une futilité pour les uns, ou agréable et rassurant pour les autres), cette urgence de se rappeler pour préserver les liens mais qui tristement se détériorent d'une génération à une autre (c'est peut-être cet aspect terrible qui m'a fait préféré l'autre film au dénouement plus optimiste, même si ça colle bien ici au thème du temps et de la mort et qu'on garde quand même un petit espoir à travers le petit fils), la mise en valeur discrète et doucement mélancolique de ces quartiers japonais de banlieue, et enfin cette attention aux petits détails auxquels on ne prête pas forcément attention et qui nous semblent éternels un cours instant.


Un beau film qui laisse derrière lui des sentiments mêlés de joie et de tristesse, et qui me confirme le talent de Kore-eda à traiter de sujets simples tout en en déployant la richesse, et ce, sans perdre en authenticité, malgré une petite impression de redondance entre les deux films que j'ai vus de lui dans le fond et la forme (relation père/fils, filiation, famille malade, une tension continue entre dialogues et non-dits). En tous cas je vais attendre davantage pour le prochain pour éviter toute lassitude (un "défaut" qu'il partage apparemment avec le maître Ozu).

Arnaud_Mercadie
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Le cinéma japonais n'est pas mort ! (2000 à nos jours)

Créée

le 19 avr. 2017

Critique lue 199 fois

2 j'aime

Dun

Écrit par

Critique lue 199 fois

2

D'autres avis sur Still Walking

Still Walking
takeshi29
9

Un joyau asiatique de plus

Voilà un film tout simplement extraordinaire, qui trouve sa place, dans la tradition japonaise du film de famille, parmi les plus grands comme "The Taste of tea" ou "Yi Yi", pour ne parler que des...

le 11 juin 2011

29 j'aime

4

Still Walking
Docteur_Jivago
8

Voyage à Yokohama

Hirokazu Kore-eda est, à juste titre, souvent présenté comme l'héritier d'Ozu, et Still Walking en est un symbole fort, tant sur le fond que la forme (sans jamais tomber dans le plagiat ou l'hommage...

le 28 août 2020

26 j'aime

Still Walking
Torpenn
7

La saveur de la pastèque

Même si je n'arrive toujours pas à comprendre l'adulation extravagante de mes éclaireurs pour Kore-eda, je parviens pour l'instant à voir ses films avec un certain plaisir et une absence d'ennui...

le 5 mars 2013

26 j'aime

12

Du même critique

Qui sera le boss à Hiroshima ?
Arnaud_Mercadie
8

Critique de Qui sera le boss à Hiroshima ? par Dun

C'est avec ce second épisode que je prends enfin la mesure de cette ambitieuse saga feuilletonesque sur les yakuza, qui mériterait plusieurs visions pour l'apprécier totalement. Alors que j'étais en...

Par

le 15 avr. 2017

8 j'aime

Mind Game
Arnaud_Mercadie
8

Critique de Mind Game par Dun

J'avoue avoir repoussé la séance à cause de l'aspect expérimental de cet animé de peur de me retrouver dans du sous Lynch un peu trop obscur (non que je déteste l'idée, mais ça peut rapidement tomber...

Par

le 5 mars 2019

8 j'aime

Le Sabre
Arnaud_Mercadie
9

De la perfection de l'art samouraï

Là où Tuer se distinguait par son esthétique élégante et toute en retenue, conforme à une certaine imagerie traditionnelle du Japon médiéval, Le sabre frappe par sa simplicité et son épure formelle...

Par

le 27 avr. 2017

8 j'aime