On m'avait recommandé un film d'action, j'y ai découvert une expérience introspective.

Sucker Punch est de ces films qu'on regarde deux fois, la première laissant un arrière goût assez mystérieux.
Mon premier visionnage m'a laissé mitigé, entre claque esthétique adolescente et un je-ne-sais-quoi de nostalgique et dérangeant.

La sensation de clefs de compréhension cachées était aussi forte que dans un film de Lynch ou de Kubrick. Etrange pour un Blockbuster Geek et plutôt mateur.

Ce n'est qu'après un second visionnage un an plus tard que la richesse du film m'a éclaté au visage. Je vous en propose brièvement ma perception, libre à vous de vous en faire la vôtre.

Pour moi ce film est une mise en abyme vertigineuse. Une fable qui met en scène une lutte humaine fondamentale :

La facilité de la compromission face à la rudesse de la vertu

L'illustration de ce concept est particulièrement habile pour trois raisons :
- parce qu'elle invite (sans le forcer) le spectateur à adopter un point de vue complaisant face à la compromission.
- parce qu'elle sait rendre son message discret tout en l’incrustant dans chaque aspect de sa réalisation.
- elle place directement le spectateur face à ses propres compromissions.

Pour le réaliser, on peut détailler les différents niveaux où s'illustre le combat compromission/vertu :

1 - Dans la vie de la jeune fille, plutôt que de faire face vertueusement à l'erreur qu'elle commet en début de film (homicide involontaire) elle cède à la facilité de se réfugier dans un monde onirique dans lequelle elle reste sa propre héroïne se battant contre le mal sans jamais tuer un seul humain (c.f. scène de la récupération de la carte où elle épargne le seul soldat humain). Pour satisfaite son penchant (faiblesse morale, déni de sa responsabilité), elle préfère fuir la réalité pour s'inventer un monde où elle serait vertueuse et forte. Ce mensonge l'enferme et la condamne à une vie torturée, au remord sans rémission.

2 - Dans la vie du bordel, plutôt que de faire face à l'injustice flagrante et extrêmement violente du système (prostitution forcée, torture domestique, meurtres de sang froid etc.) les filles se réfugient toutes dans un trip esthétique et dans le culte narcissique de leur corps. Pour satisfaire leur penchant (faiblesse morale), incitées par leur individualisme (elles n'arrivent pas à s'unir efficacement pour résister et avant l'arrivée de "baby", elles défendent l'idée qu'on peut se "sauver" seule, en excellant dans les règles posée par le système) elles participent chacune à la violence du système et à sa préservation. Leur compromission et leur narcissisme de refuge rend leur quotidien sordide, complètement artificiel, sans espoir de rémission.

3 - Dans la vie onirique, plutôt que de chercher à comprendre le contexte dans lequel elles se trouvent (pourquoi ces agressions, ces guerres, ces combats et cette bombe) et à se déterminer pour, contre ou juste de manière neutre, elles adoptent d'entrée de jeu et sans poser de bonne questions ce que leur demande la référence d'autorité du début de mission.
Pour satisfaire leur penchant (ivresse du combat, goût de la violence), incitées par leur vanité, elles deviennent un autre outil de violence au milieu de la violence générale. Passé la gloire du vainqueur, elles devront vivre avec les souvenir des atrocités qu'elles ont été amenées à provoquer et leurs conséquences (mort de l'une d'entre elle dans le train-bombe, meurtre gratuit du dragon et de sa mère pour récupérer un objet dont l'utilité leur échappe). Si on dépassait la caricature, on pourrait imaginer que le retour au réel de ces guerrières leur laissera quelques questions morales sur le sens et la moralité de leurs actions (cf. syndrome suicidaire du Vétéran Irakien aux US).

4 - Passons maintenant au spectateur :

Le spectateur paye pour voir un film avec des bimbos surarmées dans un contexte d'action plein de clins d'oeil à des oeuvres qu'il affectionne (mangas, films med-fans, zombie-nazis steampunk, dragons, orcs, batailles épiques, SF etc.)
Il veut du décolleté et de la petite culotte ad nauseam, des effets spéciaux et des pauses cheezy comme s'il en pleuvait.

Seulement problème : le film commence sur plusieurs séquences dramatiques, voire boulversantes sur un plan humain. WTF ? Et ça, le spectateur ça le gave. Il n'est pas venu pour voire un film dramatique, il en veut pour son argent, que ça pète dans tous les sens, du cul, du sang et des phrases choc de films d'action.
Il se sent presque mal à l'aise de se retrouver confronté à de la misère humaine alors qu'il ne l'attendait pas (un peu comme les gens qui viennent faire la manche dans les restos, en plein dîner de potes).
C'est à ce moment que le film devient génial : après un long teasing frustrant du spectateur, la première séquence d'action débarque en déversant un flot de clichés attendus, le spectateur est comblé (?). La suite du film alterne encore entre frustration et satisfaction limite écœurante (effets spéciaux en déluge, plans actions incessants sans aucun dialogue) jusqu'à en devenir lassante.

A ce stade le schéma compromission/vertu se vérifie une nouvelle fois (selon le spectateur en présence) :

Plutôt que d’accepter de s'intéresser à l'histoire dramatique de l'héroïne, par une sympathie vertueuse et authentique, le réalisateur met le spectateur en face de sa propre frustration, distanciation et de son propre cynisme (Quand est-ce que ça va péter ?!).
Pour satisfaire son penchant (consumérisme de l'image), incité par son gout de la béquée, le spectateur ne témoigne que de l'impatience et du cynisme face au drame humain qui se joue devant ses yeux. Au diable l'orpheline abusée, abandonnée, violée (?) rongée de remords et bientôt abusivement trépanée.
Pauvre spectateur, quel rémission au consumérisme déshumanisant ?

Oh, bien sûr, tous les spectateurs ne seront pas aussi blasés et insensibles.
Heureusement tout le monde ne baissera pas les bras dans la lutte intérieure entre compromission et vertu, mais chacun pourra apprécier l'effet du film sur ses propres penchants.
Les plus agacés et acides à la sortie du film en valideront quelque part le concept : recherche de satisfaction de bas instincts -> compromission -> auto-enfermement dans un monde merdique.

Dans le pire (et le meilleur) des cas, la prise de conscience peut être rude, comme le choc d'un coup qu'on aurait pas vu venir, un coup en traitre, oui, un "Sucker Punch".

Au final, la conclusion du film ne reste pas dans un trip SM mais fait le choix d'une morale que je trouve assez forte (avec la décision de baby qui était en germe depuis la première séquence d'action) : lorsqu'on s'est compromis au point de s'enfermer dans un monde de merde sans chance apparente de s'en sortir, on peut parfois atteindre la rémission par un sacrifice noble.
Bref, tout n'est pas foutu même si le sacrifice est généralement à la mesure de ce qu'on a accepte de compromettre avant pour satisfaire nos penchants. La série de question posées à la fin du film invite à un nouveau visionnage, idem pour la figure étrange de l'ange gardien de baby pour lequel je n'ai pas encore d'explication satisfaisante. A vous de vous faire votre propre idée.

Sucker Punch est un putain de miroir de notre époque et aussi une belle ode à la dignité et à la force morale, c'est pour ça, qu’indépendamment de son esthétisme certain et de sa bande son qui déchire, je lui colle un bon 8 sur 10.
Blue-Haddock
8
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le 7 janv. 2014

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Blue-Haddock

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