Revu cette après-midi : j'avais oublié que le meurtre arrivait aussi tôt... mais pas qu'il était aussi spectaculaire et baroque.

Baroque, gothique ou grotesque ? J'oscille toujours entre les qualificatifs pour parler de ce film que j'avais regardé entre stupeur et tremblements, adolescente, et qui, aujourd'hui, me fascine par son hésitation entre mauvais goût et une certaine dose de génie.

Baroque, pour le développement en spirales (celles-là même qui meurtrissent la dernière victime) de ses thèmes, pour sa construction en motifs répétés et déformés.
Gothique, pour sa mise en scène, qui empreinte tant aux giallo qu'aux romans de Radcliffe (murmures dans la nuit, portes qui se ferment seules, ombres qui se déforment, yeux qui apparaissent dans l'obscurité, apparitions soudaines).
Grotesque, dans son horreur, notamment la dégoulinade de vers, le traitement du sang, mousseux, presque rosacé, improbable, ou cette main, qui vient rajouter des coups de poignards et réapparaît, détachée d'un corps, pour mieux creuser une poitrine impossible et poignarder un coeur encore palpitant.

Tout cela est bien improbable, et pourtant, tout se tient : on est fasciné par ces corridors rougeoyants ornés de portes art déco s'irisant d'une teinte verte étrange et par tous les décors, de manière générale (la chambre art nouveau, couverte de constructions à la Piranese, de la directrice ! Les rideaux de velours bleu lourd ! Les baroqueries dorées de la pièce au téléphone ! Le couloir noir et or, tout droit sorti de Huysmans, du décor final ! Les reprises déformées de fresques de Pompéi dans l'atrium ! La façade dantesque de l'école de danse ! La place aux doubles temples, aux perspectives déformées ! Le grenier aux possibilités infinies ! La salle de danse jaune acariâtre ! La forêt zébrée par la pluie ! La porte de l'aéroport qui s'ouvre comme un antre à démons !) ; hypnotisé par les jeux de lumière (rouge sang, bleu glaçant, vert irradiant de glauque, or malsain) ; envoûté par la musique de Goblin (dont le thème "boîte à musique horrifiante" me rappelle, dans une certaine mesure, le thème envoûtant et angoissant d'Halloween - ce fut peut-être une inspiration pour Carpenter ?).

On est happé, malgré le rythme inégal et les dialogues inconsistants, malgré l'explication parachutée (Hey ! En fait ce sont des sorcières ! Oh mon dieu, derrière toi, c'est affreux !), par l'atmosphère de ce film et ses jeux de cadrages, et, globalement, par l'enthousiasme d'Argento, presque palpable sur certains plans.

Un film qui vieillit assez mal, donc, mais qui garde son pouvoir de fascination et m'a, parfois, très brièvement, retransformée en cette adolescente qui regardait,agrippée à son coussin, l'Enfer auquel étaient vouées ces étranges danseuses, mi-nymphes innocentes, mi-créatures sexys, inconscientes de leurs propres pouvoirs de grâce et de séduction.
LongJaneSilver
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le 22 févr. 2014

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LongJaneSilver

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