Vaquant à la recherche d'un film passé dans le "domaine public" (cad un vieux truc à me mettre sous la dent à défaut de sortie cinéma, de dvd ou de vod payante. Car avouons le : mon appétit de cinéphile n'est absolument pas en accord avec mes moyens financiers) je tombe sur ce truc. Je n'ose pas dire film. Mais, c'est bien un film. Ou plutôt, une curiosité qu'un individu a osé fixer sur de la pellicule en 1938.


Une fois informée que le casting ne compte que des personnes de petite taille je me dis : "Fu..k (je suis bilingue quand je jure) quel genre d'individu se réveille un matin en se disant "Et si je faisais un western qu'avec des nains !"


Les coupables : Jed Buell à la production et Sam Newfield à la réalisation (habitué des séries B commis sous plusieurs pseudos). Léo Singer manager des "Midgets" (troupe de chanteurs et de comédiens d'origine germaniques de petites tailles se produisant dans un spectacle appelé "Liliputstadt" à travers l'Europe et les States - genre visiblement très prisé fin 19e et début 20e) sera le fournisseur officiel des talents qui formeront le gros du casting. Le reste des comédiens sera racolé par annonces dans la presse écrite ou sur les ondes radio. La demande est précise : recherche 60 personnes, bien proportionnées, mesurant moins de 1m20, soit 3 pieds et 8 pouces.


L'histoire ? Des vols de bétail saupoudrés de romance où des quiproquos viendront empêcher Buck Lawson (cow-boys émérite et fils du gentil éleveur) et Nancy Preston (orpheline, recueillie par son oncle et fraîchement débarquée à Tiny Town) de savourer l'idylle qui naît timidement entre eux. Mais Buck, en bon héros, réussira à sortir de prison (pour un crime qu'il n'a évidemment pas commis) et à démasquer Bat, méchant voleur de bétail et pilleur de diligence, qui perdra la vie dans une explosion. Scène de fin : Buck peut enfin cueillir un baiser sur les lèvres de Nancy.


Le tout est ponctué de chansonnettes sans grand intérêt (chantées, entre-autre, par une adolescente de 13 ans jouant les entraîneuses... bien-sûuurrr!) Les acteurs montent des poneys shetland et dirige des troupeaux de bétails uniquement constitués de veaux (question de proportions, of course !) Les diligences, les meubles, etc, sont adaptés plus ou moins à la taille des acteurs.


Par contre les maisons, les portes, les instruments de musique sont tous à hauteur de personnes ordinaires, ce qui constitue un vrai embarras pour les acteurs mais induit aussi un sentiment de gène pour le spectateur. Les habitants de Tiny Town sont-ils donc si stupides qu'ils se construisent eux-mêmes des maisons, des bars et des contrebasses trop grands pour eux ?


L'autre réponse : les concepteurs du truc ont sciemment usé de ce décalage pour inciter le rire, non en complicité avec leurs acteurs, mais en usant du contraste entre l'environnement et la taille des interprètes pour provoquer le rire (il faut bien faire le buzz : difficile d'attirer la foule au cinéma dans le climat électrique qui secoue l'Amérique de 1937 foudroyée par la récession, les grèves, la rechute boursière, les 19% de chômage et de la pauvreté galopante)


L'histoire semble n'être qu'un copié/collé des westerns commerciaux de l'époque. Deux ou trois acteurs font leur taf plus que convenablement, mais la majorité des comédiens (débutants) est mal à l'aise devant la caméra. Les textes sont récités comme si les comédiens découvraient leurs dialogues au moment de la prise de vue. Le tournage à du être expédié en quelques jours et la réalisation est bâclée. Les séquences s'enchaînent mal, les plans de groupes sont rigides, les actions mal accompagnées par la caméra. Le tout est torché sur le minimum syndical.


Moment (parmi beaucoup d'autres) où j'ai du fermer les yeux dans un réflexe de gène empathique avec l'acteur : arrivé devant un perron (dont la hauteur est conçue pour une personne de taille ordinaire), un personnage est obligé de se hisser à bout de bras à plus de 80cm de haut, donnant à son arrivé un air de grotesque mal venu dans ce qui ne se veut pourtant pas (ouvertement) un film comique.


Avant même de voir le film, je me demandais s'il fallait se réjouir que des acteurs singuliers (ici pour leur taille) trouvent emploi au cinéma ou s'il fallait s'agacer de voir que des comédiens soient instrumentalisés par le concept du "all midgets" pour faire un spectacle voyeuriste de bas étage. "The terror of Tiny town" se classe incontestablement dans la seconde catégorie.


Pièce à conviction attestant la démarche sensationnaliste du producteur : le prologue du film s'ouvre sur une scène de théâtre d'où un présentateur (de taille ordinaire-le seul du film) s'adresse aux spectateurs pour présenter Tiny Town et annoncer qu'une terreur sévit dans le coin. Débarque l'interprète de Bat Haines (la "terreur") qui cabotine et prétend qu'il deviendra le maître de la ville. Puis arrive Billy Curtis (l'interprète de Buck Lawson) qui prétend que c'est lui qui deviendra la vedette du tout Hollywood. Les deux se lancent, ensuite, dans une parodie de corps à corps et ce n'est que quand le présentateur les sépare que le rideau s'ouvre et que débute le film.


Cette (méta) présentation faite par l'homme de taille ordinaire place d'office tout ce qui va suivre sous le signe de la farce. Le reste du visionnage entérine le concept et finit d'en faire une farce souvent cruelle. D'ailleurs Billy Curtis (incarnant le héros) s'exprimera, peu après la sortie du film, et dira avoir été blessé par les mentions racoleuses de l'affiche et par les rires du public. Visiblement, fourvoyé par le producteur, il pensait participer à un western dans la pure tradition. Il dira : “I played the good guy who put the bad guy behind bars at the end, just like John Wayne. And I kissed the pretty girl, just like he did. So what the hell’s so funny?”


Peut-on lui en vouloir d'avoir été aveuglé par ses propres attentes qui semble à presque un siècle d'écart avoir un parfum de naïveté ? Car l'idée de ne caster que des personnes de petites tailles, ainsi que le titre du film lui-même auraient du démasquer la supercherie. Mais rappelons que les occasions de démontrer son talent sont rares pour les acteurs et d'autant plus lorsqu'ils portent une singularité physique visible. Après une carrière en demi-teinte (marqué par son rôle de Mordecai dans "L'homme des hautes plaines"), Billy Curtis deviendra un ardent défenseur de la cause des acteurs de petite taille pour qu'ils aient des vrais droits de représentation et de vote au sein la puissante Guild des acteurs américains.


Aujourd'hui encore les acteurs de petite taille se retrouvent à lutter pour ne pas être cantonnés au rôle du "nain de service" ou à n'être choisi que pour leur taille comme le disait Peter Dinklage (comédien de Game of throne). L'interprète de Tyrion Lannister, sait de quoi il parle. Il est l'un des rares acteurs de petite taille, encore actuellement, à pouvoir composer un personnage, dont la singularité physique passe au second plan, pour laisser s'exprimer ses talents de composition de façon intéressante dans cette série depuis 5 ans. Aurait-on apprécié son talent dans un film comme "The terror of Tiny Town" ? Certainement non.


Mais comment en vouloir au producteur et au réalisateur d'avoir eu cette idée opportuniste ? D'autres qu'eux ont ce genre d'idées un peu mono-maniaque tous les 15 jours, mais ils optent en général pour un parti pris moins visible à l'écran : caster uniquement leurs amis, les vedettes bankables ou mieux encore des acteurs imbéciles. Et l'imbécilité, derrière la maquillage et les effets spéciaux est souvent invisible, et présente la particularité de ne pas se mesurer en pieds et en pouces mais en profondeurs abyssales. A l'aulne de cette métrique, les créateurs de "The terror of Tiny Town" auraient, certainement, été recruté tout de suite... ou presque.

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le 16 mai 2016

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