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Testament
6.5
Testament

Film de Denys Arcand (2023)

Si l’on se reporte au Petit Robert pour s’assurer de la signification exacte du mot testament plusieurs acceptions en sont données. Quatre d’entre elles méritent d’être retenues. S’écrivant avec une majuscule l’ Ancien et le Nouveau Testament sont les noms des deux parties de l’ Ecriture sainte chez les chrétiens. En droit ce même terme désigne l’acte unilatéral par lequel son auteur dispose de tout ou partie des biens qu’il laissera en mourant. Par extension testament est employé pour parler des dernières volontés d’une personne, décédée ou non. Au sens figuré il désigne enfin la dernière oeuvre d’un artiste quand elle apparait comme la suprême expression de sa pensée et de son art.Tout naturellement on en vient à s’interroger sur la façon dont ces notions s’entrecroisent dans le film de Denys Arcand. Le mieux, pour y répondre, est de s’attacher aux pas de Jean-Michel Bouchard, personnage clef de l’histoire. Ce septuagénaire débonnaire , toujours bien mis, poursuit cahin- caha son petit bonhomme de chemin mais sans se départir d’un sens de l’observation acéré souvent teinté d’ironie. De là un triple regard, sur lui-même, sur la maison de retraite où il réside désormais et sur la société québécoise.


Reconnaissons que l’autoportrait tracé touche après touche par Jean-Michel Bouchard n’obéit à aucune complaisance de sa part. Bien au contraire. S’il fallait trouver un équivalent en chanson , celle d’Yves Simon intitulée « Little Thomas Dupont « conviendrait à merveille. Le refrain dit l’essentiel :

Little Thomas Dupont est mort , à l’angle de la 3eme rue. Il n’était rien avant sa mort, il n’est plus rien après non plus.

Jean-Michel Bouchard ayant atteint cet âge où pour beaucoup les projets ont laissé la place au bilan, celui qu’il dresse nous montre un homme désabusé convaincu de l’inutilité de son passage sur terre. Ni grand amour, ni famille, ni enfants, à peine quelques amis, tel est le constat. Même les ouvrages qu’il a pu écrire autrefois le laissent désormais indifférent. Ce qui, parmi bien d’autres, nous vaudra une séquence des plus savoureuses. Qui en effet n’aurait pas été surpris en recevant comme Jean-Michel Bouchard après tant d’années une invitation ou plutôt une injonction à être présent à une cérémonie de remise de prix littéraires, celui baptisé « hommage à nos ainés « lui ayant été décerné. Avec son costume trois pièces d’un autre temps, ses cheveux poivre et sel et sa rondeur de sénateur, il fait vraiment mauvais genre dans cette assemblée où les jeunes femmes , majoritairement primées, chevelure bigarrée, piercings et tatouages, représentent autant de facettes du nouveau paradis diversitaire. En entendant leur logorrhée à la tribune après réception de leur trophée on les imagine plus promptes à signer pétition sur pétition qu’à s’astreindre à une écriture exigeante. A la vérité cette manifestation n’a plus grand chose à voir avec la littérature et Jean-Michel Bouchard de se demander ce que diable il est allé faire dans cette galère. Diversité oblige, il fallait bien que le troisième âge fût lui-aussi représenté. Sauf que les algorithmes auxquels la sélection a sans doute dû être confiée se sont trompés de Bouchard, le livre récompensé a été écrit par un homonyme… Le nôtre ne prendra pas la mouche trouvant même là avec satisfaction la confirmation qu’il ne léguera rien après sa disparition.


Singulièrement les grandes balades qu’il aime encore à faire le ramènent toujours dans les vastes cimetières de la ville. Non pour s’y préparer au grand saut entre les tombes mais pour y trouver l’apaisement au milieu des arbres centenaires qui bordent les allées et dont les frondaisons flamboient en automne. Il y a belle lurette en effet qu’il s’est détaché de la religion de son enfance et qu’il ne croit plus ni à la résurrection de la chair ni à la vie éternelle. La seule chose qu’il souhaite désormais c’est qu’après sa mort ses cendres soient dispersées pour que le vent les emporte au loin. » La fin est dans le commencement et cependant on continue » écrivait jadis Samuel Beckett. Jean-Michel Bouchard pourrait faire sienne cette citation tant il semble proche des personnages de ce théâtre d’après-guerre qui se plaisait à mettre à nu l’absurdité de la condition humaine. Ce désenchantement ne l’a toutefois pas transformé en vieil égoïste aigri. Il est resté cet humaniste bienveillant qu’il a probablement toujours été. D’où la place particulière qu’il tient au sein de la maison de retraite dénommée pudiquement maison des anciens pour ne pas heurter la sensibilité de ceux qui y vivent et dont la jeunesse s’est enfuie depuis longtemps déjà. A la fois confident et conseiller bénévole de la directrice Suzanne Francoeur de plus en plus désemparée face aux revendications qui se multiplient mais aussi pareillement à l’écoute des autres résidents auxquels il sait toujours prêter une oreille attentive. L’observateur idéal tout trouvé. Naturellement Denys Arcand en a donc fait le témoin privilégié non plus du seul déclin de l’empire américain mais de la transformation radicale de l’ensemble des sociétés occidentales désormais à l’oeuvre. Un véritable changement de paradigme pour reprendre les termes mêmes du réalisateur lors de l’une de ses interviews. Cette vision est partagée par d’autres que lui, notamment sur un mode ironique par Pierre-André Taguieff dans « Le nouvel âge de la bêtise « ou de manière plus crépusculaire par Michel Onfray. Dans son ouvrage « Patience dans les ruines » il ramasse en quatrième de couverture sa pensée comme suit :

Comment puis-je affirmer dans Théorie de Jésus qu’il n’a pas eu d’existence historique et défendre en même temps dans Patience dans les ruines la civilisation judéo-chrétienne que l’idée de Jésus a rendue possible? Parce qu’à l’heure où cette civilisation dont je procède s’effondre, doublement menacée par une incroyable négativité qui la détruit et par l’horizon transhumaniste qui s’annonce à échelle civilisationnelle, c’est la meilleure assurance contre l’infernal. Je raconte tout cela dans un récit composé après un bref séjour au monastère de Lagrasse marqué par les lectures méditées des Sermons sur la chute de Rome de Saint Augustin, dans ce lieu où le rituel fabrique de l’éternité ici et maintenant. Voici la parole d’un athée qui ne cherche pas la conversion puisqu’il est déjà judéo-chrétien.

En héritier de Molière dont il se réclame Denys Arcand a choisi, lui, la comédie pour démasquer les Trissotins et précieuses ridicules d’aujourd’hui. Evitons tout malentendu quant au lieu où il a placé ses acteurs. Cette fameuse maison des ainés n’est ni un couvent coupé de tout ni un sordide mouroir. Chacun y dispose d’un studio ou d’un appartement et peut à sa guise sortir à l’extérieur. Tel est entre autres le cas de Jean-Michel Bouchard qui travaille encore comme archiviste deux jours par semaine. Avec ses pensionnaires du troisième âge pour beaucoup moins alertes que notre pré-retraité, cet établissement québécois au coeur même du film apparait comme le symbole d’une époque condamnée à disparaitre. Dans le même temps, perméable aux influences venues du dehors il constitue un échantillon parfait pour observer la nouvelle conception du monde en train peu à peu de s’imposer. Le récit commence là où du reste il s’achèvera , dans l’une des pièces communes du bâtiment que décore une ancienne peinture murale. Celle-ci, pour le malheur de la directrice Suzanne Francoeur, représente la rencontre entre Jacques Cartier et les Mohawks, l’une des Six-Nations iroquoises d’Amérique du nord. Scène rédhibitoire car raciste aux yeux de jeunes activistes dont bon nombre encore étudiants. Bien que ce premier contact entre européens et amérindiens soit dépeint de manière cordiale et pacifique, ces militants d’un nouveau genre y ont vu, eux, l’image typique de l’humiliation des peuples premiers par l’homme blanc. Preuve en est, selon leur porte-parole ulcérée, qu’à la différence de Jacques Cartier et de ses compagnons les Mohawks et leur chef sont à peine vêtus. L’ultimatum adressé à l’institut Duplessis qui gère la maison de retraite est donc le suivant: mettre un terme au plus vite à cette insupportable discrimination. A défaut de quoi le sit-in devant la porte d’entrée principale ne sera pas levé et les protestations se poursuivront aussi longtemps qu’il le faudra. Passé le premier moment de stupeur, Suzanne Francoeur et Jean-Michel Bouchard ne tarderont pas à découvrir la réalité de ces menaces surtout avec l’entrée dans la danse des chaines d’information continue se joignant sur place au campement des protestataires et à leur condamnation sans aucune vérification préalable.


Difficile de résister au tribunal médiatique alors même que votre propre hiérarchie par la voix de sa ministre de tutelle vous intime l’ordre de régler le problème se gardant toutefois de donner la moindre indication utile. La demande prêterait à sourire si elle ne traduisait une réalité nouvelle que résume judicieusement Gil Delannoi avec sa formule « criminalisation du passé et ethnicisation du présent ». Si donc cette fresque dérange tellement, qu’à cela ne tienne, autant la faire disparaitre. Qui d’ailleurs prend encore le temps de la regarder? Allant au plus simple, Suzanne Francoeur fera ni plus ni moins appel à une entreprise du bâtiment pour effacer l’objet du délit. A contrecoeur les deux préposés chargés de ce travail recouvriront de plusieurs couches de peinture blanche l’oeuvre picturale devenue problème. On ne peut s’empêcher de penser au fameux « Carré blanc sur fond blanc », cette huile sur toile réalisée par Malevitch en 1918. Plus d’un siècle après, ce même monochrome blanc réapparu avec drôlerie dans une maison de retraite québécoise n’est pas la répétition des controverses artistiques passées. Si l’avant-garde abstraite qui s’est développée en Russie notamment avec Kandinsky et Malevitch a abandonné toute référence aux objets et à la nature, cet abandon, ainsi que l’a montré Alain Besançon dans «L’image interdite », ne provenait pas d’une crainte devant le divin mais de l’ambition mystique d’en donner une image enfin digne. Plus rien de tout cela aujourd’hui. La disparition de la figure de Jacques Cartier imaginée par Denys Arcand n’est pas sans rappeler la dégradation de la « Joconde » de Léonard de Vinci ou du « Printemps » de Claude Monnet, l’un et l’autre tableau récemment aspergés de soupe par des militantes du collectif « Riposte alimentaire ». Les recherches esthétiques d’autrefois ont désormais cédé la place à des revendications sans plus aucun lien avec l’art. Bien mieux, ainsi que le symbolise ce grand carré ou plutôt rectangle blanc ayant remplacé l’épopée de Jacques Cartier, c’est bel et bien un effacement du passé et le refus d’en accepter l’héritage. La dignité des Mohawks leur ayant été ainsi rendue, le siège peut être levé mais pour être mis, nouvelle cause oblige, devant une salle de spectacle où se joue une pièce de Bertolt Brecht jugée inacceptable. Dans son ouvrage déjà citée, Pierre-André Taguieff relate une semblable anecdote survenue aux Pays-Bas.

C’est ainsi qu’une tentative de mettre en scène En attendant Godot aux Pays-Bas - au centre culturel étudiant Usva de l’université de Groningen - a pris une tournure becketienne lorsqu’en février 2023, à l’issue de trois mois de répétitions, la direction de la salle universitaire a annulé les représentations en raison du fait que le réalisateur irlandais n’avait auditionné que des hommes pour le casting des cinq personnages masculins, ce qui allait à l’encontre d’une politique d’inclusivité universitaire. Or, Beckett avait lui-même stipulé que sa pièce devait être jouée par cinq hommes. Mais l’attaché de presse de l’université a cru bon de faire cette cocasse mise au point : « En avançant, les temps ont changé. Et l’idée que seuls les hommes conviennent à ce rôle est dépassée et même discriminatoire. » La noble lutte contre les discriminations ne cesse de s’embourber dans la bêtise diversitaire et inclusiviste, qui donne son visage au vertuisme contemporain .

Miroir grossissant d’un monde qui change, la maison des anciens Duplessis choisie par Denys Arcand est une scène de théâtre parfaite pour épingler avec humour tous ces changements. De fait, les jeux vidéo ayant été jugés préférables à la lecture pour maintenir la vivacité intellectuelle des personnes d’un certain âge, du jour au lendemain tous les livres de la bibliothèque seront mis au rebut, jetés pêle-mêle dans des caisses pour être ensuite envoyés au pilon. Curieusement ce nettoyage culturel ne suscitera aucune protestation, chacun ayant sans doute intériorisé la disparition possible de la « galaxie Gutenberg » éclipsée par le « continent numérique ». Certains ont probablement en mémoire « Fahrenheit 451 » sorti sur les écrans en 1966. Ce film de science - fiction réalisé par François Truffaut d’après le roman homonyme de Ray Bradbury nous plonge dans un monde où la connaissance est considérée comme néfaste et où en conséquence les livres sont interdits. La fonction des pompiers est donc de les brûler et non plus d’éteindre les incendies. Pour les gouvernants de cette société-là du futur, tout savoir par la lecture doit être prohibé car seules les normes édictées par eux garantissent le bonheur de tous. Qu’on le veuille ou non l’enfer avec ses flammes est assurément pavé de bonnes intentions. Face à ce pouvoir incendiaire il existe heureusement des oasis de résistance. Dans la forêt, loin du monde, vivent les « lecteurs » qui ont mémorisé les livres et les répètent inlassablement pour qu’ils ne soient pas oubliés. D’une certaine manière cette anticipation semble avoir été rattrapée par la réalité présente pour peu que l’on ait à l’esprit la réécriture des oeuvres passées comme par exemple celles pour la jeunesse de Roald Dahl ou l’apparition des « sensitivity readers » chargés de vérifier que les manuscrits soumis aux éditeurs ne soient pas désobligeants aux yeux des minorités. Autrement dit « il y a plus d’une façon de brûler un livre » pour reprendre le titre d’un article de Hubert Heckmann paru en avril de cette année dans la Revue des deux mondes. La censure en effet dans nos démocraties occidentales ne vient pas d’en haut, de l’ Etat, mais des divers segments de la société civile elle-même. Littérature ou peinture, l’une comme l’autre sont désormais des cibles suspectes et non plus des legs précieux à préserver. N’oublions pourtant pas cette phrase prémonitoire du poète allemand Heinrich Heine:

Là où l'on brûle des livres, on finira par brûler les hommes.


Sur un mode a priori léger Denys Arcand se plaît aussi à moquer cette poursuite du jeunisme à tout prix. L’occasion lui en est fournie par un résident de l’institut Duplessis proche de Jean-Michel Bouchard et auquel il prodigue sentencieusement force conseils de santé. En gros diététique et sport. Lui-même s’y conforme en pratiquant quotidiennement avec ardeur le vélo de course tout en s’efforçant à chaque sortie d’améliorer son chronométrage et la distance parcourue. Jusqu’au jour où après une nouvelle performance un infarctus lui sera fatal. En souvenir du disparu sa veuve transformera en oratoire une partie de l’un des couloirs de la maison des anciens en dressant là un petit autel. Dessus ni crucifix, ni calice, ni ciboire mais un médaillon du sportif défunt ainsi que quelques pièces de la bicyclette sur laquelle il pédalait avec tant de passion. A la croyance dans le Christ rédempteur des péchés s’est ainsi substitué le culte de l’individu roi lequel, pour parodier une formulation connue, est désormais « maître et possesseur » de son corps, modifiable à souhait. Rien d’étonnant dès lors qu’avec componction la directrice annonce à ses ouailles la nécessité de respecter un changement de genre intervenu dans son établissement et d’éviter en conséquence de s’emmêler les pinceaux dans les prénoms successifs, entre Stef et Stéphanie.


Denys Arcand ne perd en rien de sa verve en accompagnant son alter ego Jean-Michel Bouchard hors de la maison des anciens. A l’extérieur deux cibles de choix s’offrent à lui. Le personnel politique et son administration d’un côté, la presse de l’autre. Sur le ton de la satire proche de celui de Courteline il nous montre des ronds de cuir québécois consternants de médiocrité. Incompétence, lâcheté, inefficacité, tels sont les mots qui viennent spontanément à l’esprit. Ce pauvre Jacques Cartier qui n’en peut mais en est le révélateur, ou du moins sa représentation murale. Cette fresque pourtant déjà ancienne est brusquement devenue une affaire d’Etat par l’effet de la caisse de résonance des médias. Sans même songer à opposer à la poignée de protestataires un minimum d’arguments comme l’absurde anachronisme de leur réclamation, la ministre de la santé en charge des maisons de retraite n’aura de cesse que d’obéir aux oukases de ces quelques activistes dans la crainte de voir taxer son ministère de racisme à l’encontre de l’un des peuples autochtones. Politique du parapluie avant tout, ni la ministre, ni son cabinet ne prendront eux-mêmes la moindre initiative concrète, laissant prudemment le soin à Suzanne Francoeur de se dépatouiller toute seule. Bien vu puisque c’est elle qui portera finalement le chapeau lorsque les fonctionnaires du ministère de la culture s’aviseront qu’à leur insu leurs homologues de la santé ont laissé détruire un chef d’oeuvre du peintre Jean-Joseph d’Aubigny. Selon la formule consacrée la directrice de l’institut Duplessis sera donc démissionnée pour avoir obéi à sa supérieure hiérarchique laquelle, malgré ses conseillers, ignorait tout du patrimoine immobilier dont elle a la gestion. Il est vrai, pour citer Denys Arcand, que l’inculture est un prérequis si l’on veut devenir ministre.


Les scènes qui se déroulent au Parlement du Québec en sont une autre illustration. Ânonnés du banc ministériel on y entend des discours jargonneux truffés de tant d’acronymes incompréhensibles et de lieux communs emprunts de bien-pensance que l’on finit par en rire. Une telle inconsistance de la classe politique laisse évidemment le champs libre à la presse qui a beau jeu de s’ériger en procureur oubliant sa mission première d’informer en toute rectitude factuelle. Pour les médias qui se pressent devant l’institut Duplessis la chose est entendue, le Québec d’aujourd’hui doit être condamné car responsable de ce que fut le Québec d’autrefois.


Le titre donné par Denys Arcand à son film nous y invite. Pourquoi en effet ne pas s’arrêter un moment sur un autre testament que nous a offert le cinéma, celui du docteur Mabuse. Dans ce long métrage de 1933, deuxième volet d’un triptyque, Fritz Lang met à nouveau en scène ce personnage. On le retrouve ici dans un asile psychiatrique où il a été interné. De là cependant, grâce à ses pouvoirs hypnotiques, il réussit à contrôler le directeur de l’établissement et un gang de malfaiteurs. La parabole était claire. C’est bien le régime nazi tout juste arrivé au pouvoir qui était visé par le cinéaste à travers ce fou criminel guidant à distance les exactions de la pègre. Goebbels ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisqu’il en a interdit la projection. Difficile de faire l’impasse sur le troisième épisode, « Les mille yeux du docteur Mabuse » sorti en 1960, quinze ans après l’effondrement du Troisième Reich. Pour autant le génie du mal qu’incarne Mabuse est toujours là. Dans le dernier acte de cette trilogie, son nouvel avatar hante désormais l’hôtel Luxor. Cet édifice, « né sous une mauvaise étoile « a en effet été construit et aménagé tout spécialement à l’époque par les nazis pour y espionner les diplomates. Réseau de caméras, écrans de contrôle et glaces sans tain installés dans ce but n’ont cependant pas disparu et continuent ainsi à être utilisés à des fins criminelles en toute impunité. Peu importe donc qu’un pouvoir totalitaire ait été vaincu. Big Brother ou pas, mille yeux continuent à nous surveiller. Oeuvre prémonitoire que cette ultime réalisation du cinéaste. Soixante trois ans après et des technologies nouvelles en plus le testament de Denys Arcand est venu confirmer, voire compléter, celui laissé par Fritz Lang. Comme ce dernier l’avait pressenti la surveillance généralisée qui s’est installée dans nos démocraties ne vient pas du sommet, du pouvoir, mais de la société civile elle-même au nom de la sacro-sainte transparence. De là une nouvelle forme de censure qui n’est plus étatique mais qui émane des demandes des diverses minorités. Ici, décrite si cocassement par Denys Arcand, l’interdiction pure et simple d’une peinture ancienne appartenant au patrimoine artistique du Québec.


Au triple regard de Jean-Michel Bouchard annoncé au début de cet article font écho trois codicilles qui s’ajoutent au testament pour constituer autant de conclusions possibles à ce film. Quid tout d’abord de l’avenir du Québec? Une scène qui pourrait être tirée d’une dystopie parodique nous laisse imaginer la Belle Province devenue chinoise. Grâce à quoi cependant la malencontreuse fresque est en cours de restauration pour revenir à la vie. Et notre maison des anciens Duplessis? Hélas, après le départ forcé de sa directrice une infinie tristesse a soudain pris possession des lieux. Elle est là, présente, se lisant sur le visage des pensionnaires réunis chaque semaine, comme d’habitude, pour écouter l’un d’entre eux jouer du piano. Si les airs interprétés nous sont familiers pour les avoir entendus dès les premières séquences, la salle commune accueillant ce récital hebdomadaire nous apparait désormais inhospitalière privée qu’elle est des couleurs de la fresque disparue. La blancheur des murs se confond alors dans notre imaginaire avec celle des linceuls dont on appréhende une utilité prochaine pour ce public âgé. Inutile d’y chercher Jean-Michel Bouchard, il n’est plus là, parti avec Suzanne Francoeur. Leur amitié, faite de connivences, s’est en effet peu à peu transformée en un sentiment différent que ni l’un ni l’autre n’ont longtemps voulu admettre convaincus qu’à leur âge l’amour leur était interdit. Et en cette éclatante saison de l’année qui au Québec colore de rouge les arbres Jean-Michel Bouchard ne marche plus seul dans les allées arborées de Montréal mais en famille. A ses côtés Suzanne Francoeur bien sûr mais aussi le tout jeune petit-fils de cette dernière qu’elle a pu retrouver grâce à l’entremise attentionnée de son compagnon. Finalement comme un cadeau inespéré offert à qui n’y croyait plus ce bonheur tardif d’un bel automne.

Athanasius_W_
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le 12 mai 2024

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