« L’amour dans ma famille, c’est un couteau dans le dos »
Après l’échec de son projet pharamineux Mégalopolis où New York devait être le personnage principal, Francis Ford Coppola a senti le besoin de « refaire du cinéma comme un débutant ». Retravailler en indépendant, avec l’insouciance des débuts ce qui permet liberté et étrangeté (deux notions que l’on retrouve dans Tetro).
« Quand j’étais enfant, je dessinais comme Raphaël mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant » disait Picasso.
Et c’est un peu l’enjeu de Tetro pour Coppola, réapprendre à faire un film, comme un débutant.
« L’amour dans ma famille, c’est un couteau dans le dos »
Tetro soulève les 2 obsessions de l’œuvre de Coppola : la famille et le temps. Coppola nous offre un récit en partie autobiographique, son père Carmine et son oncle étaient eux-mêmes des chefs d’orchestre rivaux à une époque. La scène où le père de Tetro demande à son oncle de changer de nom s’il veut continuer le même métier est d’ailleurs une scène qu’a vécu Coppola qui explique avoir repris la phrase mot pour mot. Coppola comme Bennie était aussi fasciné par son grand frère qu’il érigeait en modèle absolu.
Un père autoritaire et tyran, une histoire fraternelle teintée d’admiration, de rivalité et d’incompréhension…on pense immanquablement au Parrain (les 2 premiers volets de la trilogie). Tetro s’inscrit dans cette tradition des tragédies fraternelles avec Le Parrain donc, mais aussi Little Odessa et La Nuit nous Appartient de James Gray ou encore La Famille Tenenbaum de Wes Anderson.
L’omniprésence de l’art, du spectacle
Un père chef d’orchestre réputé, une mère cantatrice de renom, un écrivain maudit, une femme danseuse…l’art et la question de la création est partout. Tetro essaie dans son processus de fuite de s’éloigner le plus possible de ce monde qui lui rappelle sa famille, qu’il hait. Ceci dit, tous les éléments les plus simples du quotidien viennent lui rappeler que cela est impossible.
En effet, le film regorge de personnages ultra maniérés, des sortes de stéréotypes qui semblent avoir conscience d’être en train de jouer la comédie. Et c’est ainsi que n’importe quel élément extérieur peut devenir une scène de théâtre à part entière (la scène de dispute entre José et sa femme)
Lumière et temps
Cette impression que le monde extérieur est une pièce de théâtre où chaque personnage joue son rôle est renforcée par le jeu de lumière mis en place ingénieusement pas Coppola. Le monde extérieur est contaminé par le monde du spectacle. Le noir et blanc permet de mettre en évidence le jeu de lumière constant dans lequel est pris le personnage de Tetro. Chaque éclairage extérieur fait référence aux lumières du théâtre, du spectacle, de l’opéra, de la gloire et renvoie ainsi Tetro au passé qu’il fuit. Ces lumières rappellent aussi à Tetro les phares de voitures qui l’ont ébloui au moment de l’accident qui provoqua la mort de sa mère. Toute la mise en scène suggère que Tetro ne peut échapper à son passé. Le noir et blanc par exemple est utilisé pour le présent alors que la couleur est utilisée pour les flash-backs. Cette inversion témoigne de la confusion temporelle dans laquelle interagissent les personnages, c’est comme si Tetro ne pouvait pas se défaire de son passé qui devient présent par cette simple ruse cinématographique.
Côté casting, Coppola ne s’est pas trompé en choisissant un débutant parfois maladroit pour incarner le frère admiratif et désireux d’apprendre, et en choisissant un acteur expérimenté, qui supplante presque le personnage de sa personnalité pour incarné Tetro, homme bouleversé et talentueux.
Vincent Gallo est le genre d’acteur qui ne s’efface jamais derrière son rôle, son personnage…on perçoit toujours ce qu’il est lui, en tant qu’homme, dans ses compositions. Il donne de sa personnalité à son personnage ce qui lui donne d’autant plus de matière. Et Vincent Gallo est exactement le genre d’homme que cherchait Coppola pour incarner un tel personnage. L’identification était tellement forte que la scène où Tetro parle de son père en l’insultant dans l’hôpital psychiatrique est fortement biographique, Vincent Gallo lui-même, pas seulement Tetro, parlait de son père. Vincent Gallo aurait même été franchement retissant à ce que son personnage se rende à l’enterrement de Carlo Tetrocini car lui-même nourrissait des rapports conflictuels avec son père.
« Il ne parlait pas de Tetro, il était Tetro » affirme Coppola.
Avec Tetro, Coppola signe un remarquable film beaucoup moins ambitieux mais beaucoup plus libre et intimiste que ses chefs-d’œuvre passés. Il apprend en quelque sorte à refaire du cinéma comme un débutant, ce qui est la marque des plus grands.