Somewhere beyond the silence.
Faire un film muet durant le troisième millénaire, c'est le projet complètement fou de Michel Hazanavicius, connu pour avoir de multiples fois montré un certain intérêt, voire un amour, pour les productions Américaines, que ça soit les Westerns avec La Classe Américaine, ou encore les films d'espionnage, faisant renaître de ses cendres l'agent OSS 117, tombé il y a fort longtemps dans l'oubli. Peu s'étaient aventurés à faire du muet, si ce n'est le réalisateur Kazakh Ermek Tursunov avec son somptueux Kelin, ou encore Jerzy Skolimowski avec Essential Killing (brièvement parlé au début, mais sans mots par la suite), mais Hazanavicius pousse le vice jusqu'à imposer le noir et blanc, en somme faire un film des années 20. Réel amour ou opportunité de jouer les originaux en faisant ce que personne d'autre n'aurait osé ? Difficile de statuer sur ce point tant le constat laisse un goût d'inachevé. Techniquement tout est là, avec une reconstitution d'époque sublime, minutieuse, que ça soit dans les décors, les costumes, le contraste travaillé de façon à intensifier les noirs et faire ressortir les sources lumineuses, et hormis son format en 25 images par secondes, le film pourrait presque donner le change tellement il parait avoir été tourné il y a presque un siècle.
Malheureusement, si l'ensemble brille de milles feux, il rappelle très vite les paquets cadeaux décoratifs dans les grands magasins en période de fêtes, il n'y a rien à l'intérieur. 100 minutes, et jamais le réalisateur ne pousse sa critique, pire, il retourne la faute contre son personnage, George Valentin (Jean Dujardin), qui finit par devenir une icône du narcissisme et non plus la victime d'une machine qui à chaque innovation se désintégrait davantage. En plus de cela, si la bande-annonce nous montrait des claquettes, elle nous spoilait totalement le film, en réalité il n'est qu'une mise en scène de la déchéance de notre héros, qui d'abord attendrit, puis ensuite lasse, tout comme la romance, la chose s'éternisant jusqu'à ses dernières secondes, ne faisant de la bobine qu'un mélodrame lourd au point que dans les années 20 il n'aurait intéressé personne. Pas de rires, pas de larmes, de brefs frissons lorsque Valentin sera au bord du gouffre, mais rien, hormis l'emballage, ne vient sauver la barque que personne ne semble capable d'écoper, réalisateur comme acteurs.
Bref, The Artist est une grosse déception, qui partant d'une idée brillante pêche dans sa réalisation, mais surtout dans son jeu. A l'inverse de Valentin (Dujardin) qui ne sait pas jouer du parlé, le casting ne sait pas faire de muet, et joue de la même façon qu'il le ferait s'il était enregistré, enlevant ce côté cabotin inhérent au genre. Chose d'autant plus agaçante que Hazanavicius le sait, et n'hésitera pas à le faire dire à Peppy (Bérénice Bejo), qui lors d'une interview critiquera le cinéma muet en se moquant justement de cet aspect. Finalement, quand Dujardin perd sa voix rauque à la Clark Gable, son mojo s'envole totalement et il ne devient plus qu'un personnage aphone mono-expressif; un comble que l'acteur qui ait réussi à se glisser dans n'importe quelle peau ne parvienne pas à rentrer dans celle d'un acteur, et surtout ne pas faire rire un instant, cette partie étant tout simplement laissée à... un chien !
Parmi les quelques bonnes surprises on appréciera la variété du casting, qui au-delà de nos stars Françaises nous propose de retrouver quelques grands noms du cinéma anglo-saxon, avec notamment John Goodman en producteur hystérique affublé d'un cigare, James Cromwell en major d'homme humble, et Sir Malcolm MacDowell, profitant de l'occasion pour faire un passage éclair.
Pour conclure, si l'idée de vous plonger dans un mélo simplet arborant une fausse critique et une romance mièvre vous intéresse, vous aurez ici le parfait petit produit académique qui ose sans jamais oser. Si à l'inverse vous cherchez quelque chose vous remémorant les grandes figures de l'époque, que ce soit Richard Barthelmess ou Louise Dresser, achetez leurs œuvres en DVD, vous n'y perdrez pas au change.
Mention spéciale pour la bande-originale, composée par Ludovic Bource, et collant parfaitement au visuel. Elle est tout simplement sublime, à un point qu'en sortant de la séance on a envie que d'une seule chose, foncer acheter le cd pour se l'écouter en boucle, installé confortablement dans son sofa, tout en fumant une Blue Boar accompagnée d'un verre de Courvoisier agrémenté de quelques grains de café grillés. Un délice sans commune comparaison.