Quand The Dark Knight rencontre Seven

Après avoir été adapté sous l'angle Burtonesque sur grand écran, vilipendé sous l'angle Schumacher, revigoré et modernisé sous l'angle Nolanesque, avant de faire des tentatives de featuring avec l'Homme d'acier et ses potes, Batman revient enfin en solo. Ses dernières apparitions au sein du DCEU semblaient avoir divisé les fans comme le public, sans parler de l'entreprise d'univers partagé pataugeant, film après film.


Il fallait faire revenir Batman, et le faire bien. Renouveler les choses, sans trahir le matériaux de base.
C'est une tâche ardue, de ressusciter une franchise. À chaque nouvelle itération son flot de disruption, sa nouvelle vague de défenseurs, de détracteurs. Même les opus généralement les plus appréciés ne sont pas sans adversaires tenaces et têtus. Que dire alors quand c'est la moitié du public qui semble vous tourner le dos, vous laissant entendre que ça n'est pas ça, Batman.


Qu'à cela ne tienne, la Warner décide de (re)faire table rase et confie les rennes de son futur bébé à Matt Reeves, réalisateur au CV certes court mais relativement qualitatif en y comptant Cloverfield et deux des trois Planet of the Apes. Mais ensuite la dégringolade, puisque le futur Bruce Wayne n'était autre que Robert Pattinson, un excellent acteur au demeurant, mais souffrant hélas encore d'une sale réputation auprès du grand public. Public qui ne diminue pas son inquiétude lors que le tout premier teaser apparaît, jugeant le costume de façon pessimiste, puis la batmobile, etc.


La quête de rédemption n'allait clairement pas être de tout repos pour l'équipe de production. Mais les promesses sont données : ça sera un film d'enquête, un polar, pas un film d'action, pas tant un film de supers que ça. Les influences sont également avouées, et lorsque le trailer est enfin lâché une seule chose apparaît alors : effectivement, les influences sont perceptibles à l'image.


Un virus plus tard le film peut enfin sortir sur grand écran, et le runtime s'avère très généreux : près de 3h.


Alors... Que vaut donc The Batman ? Je l'ai attendu avec énormément d'impatience, et j'ai placé beaucoup d'espoirs dans ce film et autant vous dire une chose qui me peine : j'aurais aimé être subjugué, mais j'en suis ressorti pleinement conquis !


Les premiers termes qui me viennent à l'esprit sont : joli, différent, généreux, casting, dialogues, maladroit, tempo.


Sept mots que je vais utiliser tels les sept péchés capitaux, mais voyez plutôt ça comme sept bulletpoints qui me permettront de traiter l'essentiel (puis bon, sept points c'est déjà énorme).


La luxure - Joli. Matt Reeves l'avait déjà prouvé sur ses derniers films et le reprouve encore : il sait donner vie à ses film, leur conférer une forme de personnalité esthétique. Rien de particulièrement marqué, rien de nécessairement flamboyant, mais il a une véritable appétence pour soigner ses ambiances, apporter des textures. Le film est beau, et plusieurs fois je me suis dit "ah tiens c'était pas mal ça".


L'orgueil - Différent. Nous avons là un film qui se prend au sérieux, embrassant pleinement l'influence du polar noir. Et pas que visuellement. Si les inspirations pour Nolan tendaient plutôt du coté des films de mafia type Heat, ici nous avons un aveu d'amour total pour David Fincher et une oeuvre en particulier : Seven. Ça se ressentait déjà dans la BA, et ça se concrétise tout au long du film. Ou plutôt, reformulons : Reeves et Fincher semblent partager beaucoup de centres d'intérêts et Reeves semble bien avoir été marqué par le chef d'oeuvre de Fincher. Ça passe par le plot, mais aussi par l'ambiance. Le polar fait que Batman ne va pas tant oeuvrer seul que ça dans ce film. Il est d'ailleurs bien entouré, et par moments le film aura littéralement des allures de buddy movie grâce à un tandem Batman/Gordon plus fréquent qu'à l'accoutumée, et plaisant à suivre de surcroit, tout comme les enquêtes.


La gourmandise - Généreux. Le film veut proposer beaucoup de choses. C'est clairement ce qu'on pourrait appeler un slow-burner : il s'apprécie sur la distance, il prend son temps et sait ce qu'il souhaite mettre en place. L'univers, la galerie de personnages, tous efficacement joués par leurs interprètes respectifs, le background, ses tenants et aboutissants. Il ne s'agit pas que d'un film sur Batman, et il veut nous le prouver. Gotham est à nouveau un perso à part entière. Pas aussi atypique que celle de Burton, pas aussi... Chicago IRL que celle de Nolan, mais un entre-deux, superbement baignée dans une atmosphère qu'on ne lui connaissait pas encore à l'écran, puisant plutôt dans Blade Runner avec ses structures en acier qui pullulent aux pieds des rues, ses néons et sa pluie, véritable trombe qui noie le film et ses protagonistes, sans oublier l'éclairage.


L'envie - Casting. La vedette est volée par Colin Farell, méconnaissable en Pingouin et pas seulement sur le plan physique. Vraiment pas. Ma seconde place est trustée par Paul Dano, hypnotique ou creepy à souhait, mon plus grand regret étant que nous ne puissions pas savourer sa presta plus longuement que ce que le film nous offre. Pattinson campe un Batman convainquant, monotone certes, mais servant son incarnation à la perfection. C'est un jeunot brûlant mais déjà blasé, le deuil d'une vie simple et normale qu'il n'a de toute façon jamais connu déjà effectué. Batman c'est son job, c'est son obsession. Il vit à corps perdu dans son alter ego, et se pense prêt à sacrifier sa véritable identité. C'est son péché.


L'avarice - Dialogues. Je dois aborder un des défauts majeurs de cette version : les échanges m'ont fait tiquer plus d'une fois. La comparaison n'est malheureusement pas possible à éviter, mais c'est comme si on avait demandé à un adolescent de mater Seven, et de proposer un scénario s'en inspirant. En résulterait un script contenant sa substantifique moelle, mais dépourvu d'échanges convaincants entre les partis prenantes. Les thèmes abordés, les évènements qui s'y déroulent, tout y est et semble carré, mais c'est maintenu par des lignes de dialogues vraiment pas dignes d'un film de cette ambition. Les Marvel sont des films écrits par des adultes et calibrés pour des ados ? Ce film semble avoir été écrit par un ado et calibré pour les adultes.


La colère - Maladroit. Avec de telles ambitions, difficile de ne pas déraper un peu. Le film souffre de pas mal de lacunes en fin de compte. Par les dialogues déjà, qui confèrent au film un aspect bancal qui aurait été vraiment solide avec des échanges on ne peut plus réalistes, mais aussi ailleurs, en particulier sur certains choix scénaristiques. Des choix qui vont casser le momentum de la scène jusqu'à carrément le ruiner. Ça peut arriver, mais ici ça m'a sauté aux yeux trop fréquemment. Et parfois ça impacte directement les besoins du scénarios. Je vais devoir mentionner un second film auquel je dois confronter The Batman : The Dark Knight. Sur bien des aspects, la comparaison est finalement beaucoup plus claire et logique qu'escompté, mais s'il y a un point particulier à mentionner, ce sont les conséquences. Les films de super-héros ont besoin, pour maintenir le plot en mouvement, de s'imposer des conséquences plus ou moins importantes. Délestez TDK de certaines d'entre elles, et vous vous retrouvez avec The Batman. Le clap de fin implique de vastes conséquences certes, encore faudra-t-il qu'elles soient reconnues dans un prochain opus. Idem pour certains éléments de background, qui auraient peut-être gagnés à être dénués de twists ou d'explications pour leur conférer encore plus de force sur le plan dramatique.


La paresse - Tempo. Avec 3h au compteur, il fallait avoir des choses à raconter, des choses à montrer. Le souci, c'est que le film n'a pas toujours bien confiance en lui, alors il faut balancer des phrases à gogo pour expliciter, jusqu'à nous mettre la fameuse voix-off si chère aux polars. On en revient à l'écriture d'un adolescent : le film fourmille d'idées narratives, de background, de lore, visuelles et j'en passe, mais n'ose pas toujours aller jusqu'au bout. Ce qui est fou c'est qu'on peut limite voir se succéder deux passages diamétralement opposés sur le plan qualitatif, un coup on verra et entendra un Riddler qui semble avoir été écrit par un passionné des criminels énigmatiques, et l'autre on verra et entendra Batman et Catwoman discuter comme s'ils étaient dans la pire des sitcoms mielleuses.


Si j'aurais souhaité un résultat mieux fignolé, cet essai ne m'a pas du tout laissé indifférent. Matt Reeves a su doter Batman et son univers d'une nouvelle patte et d'une nouvelle approche qu'il me tarde de retrouver !

Chernobill
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le 2 mars 2022

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