Après être passé devant les caméras de Tim Burton, Joel Schumacher, Christopher Nolan et Zack Snyder, le chevalier noir revient sur grand écran pour une énième adaptation. Si les fans en attendaient beaucoup, notamment du fait de l’excellente com autour du film, une question me trottait en tête : Qu’est-ce que Matt Reeves pourrait apporter de plus à un des super-héros les plus portés à l’écran de l’histoire ? M’étant dispensé des bandes annonces et trailers en tout genre, je suis arrivé dans la salle sans attendre grand-chose du Batman de Reeves mais du moins intrigué par ces belles affiches monochromes et la perspective de voir Pattinson revêtir la cape du chevalier noir.


Les premières minutes donnent le ton. Deux ans à écumer les rues de Gotham ont fait de Batman un justicier à l’image de la ville qu’il protège : violent, opaque et dénué de sens moral. Dans cette ville poreuse, miasmatique, Matt Reeves convoque un pêle-mêle de références, de Fincher (Se7en et Zodiac notamment) à Scott (Blade Runner), donnant chair à une ville trop peu exploitée par les adaptations précédentes.


Dans la ville du crime, Batman évolue en chevalier noir, jouant des zones d’ombre pour traquer le mal, au point de se questionner sur ses propres actions. Grâce à la voix-off nihiliste du personnage, Matt Reeves nous plonge dans les vices psychiques d’un Batman rongé par un désir de vengeance, qui prend inexorablement le pas sur son idéal de justice.


Le Batman de Reeves nous ramène aux origines du comics book, rappelant aux spectateurs les capacités d’enquête du « meilleur détective du monde ». Plaçant son intrigue sur les rails du film noir, entre enquête et quête de sens moral, le film prend une tournure inattendue. On ne peut s’empêcher d’y voir du Se7en, pour l’anti-héros névrosé, et du Zodiac dans la structure de l’enquête, entre codes secrets et fausses pistes.


Tout au long du film, Reeves va questionner l’essence même du personnage, interrogeant son impact et flirtant avec ses démons familiaux. Derrière le masque, Bruce Wayne semble avoir été éclipsé par son double nocturne, tant ses rares apparitions à visage découvert le montrent blafard. La chauve-souris a dévoré l’homme, qui ne vit plus que pour et par le crime. Reste un animal nocturne en perte de repère, désorienté, que Riddler va s’empresser de décortiquer pour mieux le mettre à nu, face à ses vices et ses démons intérieurs.


Dans cet ensemble corrompu par le mal, la salvation semble bien loin pour le chevalier noir. Le réalisateur ponctue ainsi son œuvre de références bibliques, de l’Ave Maria, entendu lors de la scène d’introduction, aux péchés du père révélés par Riddler. La corruption des hommes est alors centrale, Batman se retrouvant face à un système entier en crise, les hommes ayant été pervertis par l’envie, l’avarice et la luxure. Ici aussi les péchés capitaux font écho aux meurtres du Se7en de Fincher, encore lui.


La rédemption de ce Batman nihiliste sera semée d’embûches, Reeves convoquant la mythologie de l’homme chauve-souris pour ponctuer la quête du chevalier noir : Le Pingouin (Colin Farrell), Catwoman (Zoë Kravitz) ou encore Falcone. Les personnages secondaires semblent alors en reste devant le développement scénaristique du Batman, leurs intrigues respectives étant bien trop linéaires. Le film aurait, à mon sens, gagné à resserrer son propos sur Riddler (Le Sphinx, Paul Dano), nous évitant d’inutiles développements scénaristiques à l’image de la romance avec Selina Kyle, fausse note dans une partition jusque-là merveilleusement composée.


Si le Batman et le Gotham de Reeves constituent sans doute les meilleurs éléments du film, il n’est pas exempté de défauts, en tout genre, qui semblent empêcher The Batman de flirter avec le grand film.


Matt Reeves nous avait promis un « film d’horreur » pour souligner la noirceur de son long-métrage, or il semble par moment ne pas aller assez loin dans sa proposition de cinéma, ne pas pousser le vice pour préserver son spectateur. Un pouce tranché sans gouttes de sang et des assassinats hors caméras illustrent la dualité du film, entre film d’auteur et respect des codes du genre super-héros. Matt Reeves est comme son Batman, tiraillé entre deux idéaux : Faire un film noir où la violence viscérale est montrée à la caméra (Ducournau, The House That Jack Built…) ou faire un film de super-héros sans choquer le spectateur (Les Batman de Nolan en tête). Le film aurait, à mon sens, gagné à assumer pleinement cette violente inhérente au personnage, sans épargner le spectateur des dommages qu’elle cause.


Dans l’horreur du déluge, Batman accède à la rédemption, sauvant les habitants de Gotham et trouvant enfin les réponses à sa quête de sens. Le chevalier noir délaisse la violence maladive et revient à ses idéaux de justice portés disparus tout le long du métrage.


Matt Reeves réussit une adaptation singulière, noire et opaque d’un Batman qui renoue avec les comics originaux, sans être évidemment exempté de défauts. Devant l’océan de blockbusters et de films de super-héros, la proposition de Reeves, à mi-chemin entre film d’auteur et film de studios, n’est pas sans rappeler, toute proportion gardée, les premières heures des réalisateurs du Nouvel Hollywood et leur démarche similaire.


La chauve-souris plane sur la planète Hollywood, lumière dans la longue nuit, fumigène rouge sang à la main.


(7.5/10)


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le 7 mars 2022

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