2010, Révélation.

Avant de l’appréhender, j’imaginais un film très léger, un road movie absurde porté par le vent, sorte de Macadam à deux voies en moto, ou d’un Gerry plus fou, plus sensuel, plus charnel, car bien entendu j’avais entendu parler d’amour fou et de cette fameuse séquence qui a tant fait parler d’elle. Bref, c’était probablement depuis des mois (des années ?) le film que je voulais le plus voir au monde.

C’est chose faite. Et ça n’a rien d’une déception. C’est un traumatisme. Sans doute parce que justement je ne m’attendais pas du tout à recevoir un tel choc, des émotions si violentes. Il y a comme un crescendo pendant le film. Le personnage est sur la route pour rejoindre une course. Il effectue des rencontres féminines mais les abandonne aussitôt. On le sent chargé d’un lourd passé, un fardeau qu’il ne peut oublier, mais les quelques indices ne suffiront pas éclairer véritablement nos lanternes. Il faudra une séquence éprouvante vers la fin du film, une séquence qui donnera tout son sens à ce que l’on voyait précédemment, au comportement de cet homme meurtri. C’est un film sur la culpabilité, sur ce qui ronge jusqu’à vouloir mourir. Cet homme qui recherche cette femme. Qui combat l’oubli. Qui cherche un visage. Une sensation. C’est sa propre culpabilité qu’il met en jeu. C’est une colère. Un désespoir qui ne le quittera jamais plus. C’est un cauchemar récurrent, mais un cauchemar réel, d’un passé proche ou lointain on ne sait pas tout à fait, qui le hante partout dans son quotidien. C’est un homme seul qui refuse de voir la vérité. C’est un mystère. Je crois que c’est ce qui me fascine le plus dans The Brown bunny, ce mystère. Cette errance sans fin, qui me touche comme rarement. C’est en cela que je trouve le film éprouvant. Car tout est trouble. Le passé de cet homme, ses actions. Il cherche un horizon, à l’image de ce camion qui roule sans cesse, de ces rencontres qu’il fuit systématiquement. Comme ce mirage en plein lac salé, dans lequel au loin il semble s’envoler vers le ciel puis disparaître, comme ce pare-brise crado, barrière de corail sur un monde qui lui a échappé, comme l’infinie économie de dialogue qu’on peut y trouver. Les cheveux dans les yeux, il avance davantage vers la mort qu’autre chose. Vincent Gallo est prodigieux. C’est une présence fragile, un regard qui abrite une douleur irréparable, il dégage comme ça un truc imperceptible, presque intouchable, une force permanente mais une fragilité bien plus puissante encore, un sentiment qui parcourt toute cette scène de fellation d’ailleurs. Une scène incroyable, de mise à nu, totalement. Vincent Gallo porte tout le film sur ses épaules, il est à tous les postes, c’est même sa bite que l’on voit. Du coup j’ai eu comme une sensation étrange après le film, l’impression que cette histoire aussi il l’a sortait peut-être de ses tripes, de sa vie.

2011, Amour.

Le revoir fut quelque chose de fort, de beau. Incroyable la charge qu’il y a dans chaque plan. Ce second visionnage me permet de lever de possibles doutes sur certaines choses et m’a conduit à tout observer. Je le trouve absolument parfait. Il y a une séquence que je trouve magnifique, c’est la main de Bud qui, sortie timidement par la vitre de la voiture, caresse le vent, tente d’attraper les nuages. Elle n’a rien d’anodin, et pas forcément sur ce qu’elle dit, mais sur ce qu’elle suggère. J’aime cette idée de glissement que le film finit par offrir en s’ouvrant littéralement sur la fin. Rarement un regard, un geste, un ‘please’, un ‘It’s not true’, un ‘Daisy’ suppliant, une main dans le vent, une larme n’auront été aussi forts émotionnellement en ce qui me concerne.

2013, Lévitation.

Je l’ai encore revu. A croire que Vincent Gallo me donne l’envie d’écrire. Je le vois vraiment comme un conte moderne archi cruel. The brown bunny raconte l’histoire d’un paumé à la recherche de sa fleur des champs, sa marguerite disparue. Dans son errance, il se heurte à d’autres fleurs, en lesquelles il espère retrouver de sa marguerite, un peu de sa fragrance, de sa respiration, mais chaque fois c’est un échec, une peine qui s’alourdit, une croix qui pèse. Violette, Lys et Rose n’y feront rien. La marguerite, sa Daisy, reprend le dessus systématiquement. Il avait pourtant convaincu Violet, la fille de la station essence, de le suivre dans son voyage vers la Californie mais en la déposant chez elle afin qu’elle y récupère quelques affaires, il se déroba aussi brusquement que fut leur rencontre. Puis il y a eu Lilly, essuyant son chagrin sur une aire d’autoroute, ils se sont embrassés, langoureusement, sans un mot, comme si tous deux venaient au secours de l’autre. Rose sera la troisième, le temps d’un bref déjeuné au volant. Trois demoiselles qui imperceptiblement, le rapprochent de son destin, l’accomplissement de ce deuil. C’est d’abord une jeune fille joyeuse qui semble renfermer une douleur. C’est ensuite cette femme en peine, marquée par la souffrance. Et c’est la prostituée volage pour finir. La douleur puis l’abandon. Le miroir de cette douleur. Un cheminement intérieur qui le mène inexorablement vers l’épilogue de ce déni de réalité.

Durant les deux premières minutes du film, l’objectif se concentre sur une course de moto, tout en se rapprochant progressivement de l’une d’entre elles, la Honda dorée et ce numéro 77. Il y a parfois le bruit assourdissant des bolides, parfois aucun son, puis ça revient, ça repart. Le film est déjà en train de s’aligner à Bud, d’entrer en synergie avec lui. Ces moments de silence s’apparenteraient aux longues errances au volant de son van, sans musique, sans lien avec le monde, chevauchant l’asphalte, nuit et jour. Le retour du bruit strident des motos évoquent les différentes rencontres qui l’extirpent brièvement de sa solitude. C’est un cinéma qui me touche infiniment.

J’y reviendrai sans doute encore…
JanosValuska
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le 11 déc. 2014

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