Toute utopie est vouée à l'échec
Je ne connaissais pas le roman original mais, voyant la bande annonce, j’ai eu envie d’aller voir ce film. La société dans laquelle il se déroule fait beaucoup penser à d’autres sociétés dystopiques déjà décrites en livres (Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley) ou au cinéma (Fahrenheit 451, Divergente, Equilibrium, etc.) : un monde qui ignore les conflits au prix de la suppression artificielle de tout ce qui fait un être humain (avec ses qualités et ses défauts). Toute utopie entraînant forcément une dystopie, on en arrive à un système absurde et inhumain où, pour éviter la maladie et la surpopulation, on pratique l’eugénisme, tentation de tous les systèmes totalitaires quels qu’ils soient, c’est-à-dire qu’on élimine « humainement » (par injection létale) les nourrissons qui n’entrent pas dans le moule ou les personnes âgées qui s’avèreraient être un poids pour la société. Un tel système ne peut se maintenir que si l’on a obtenu l’acceptation de tout le monde, soit par la force, soit par la suppression artificielle de tout sentiment et de toute émotion, ce qui est le cas dans The Giver.
Pas plus qu’à moi, le nom de Phillip Noyce ne vous dira sans doute pas grand-chose. Rappelons cependant qu’il fut le réalisateur, en 1989, de l’éprouvant thriller Calme blanc avec Nicole Kidman et l’inquiétant Billy Zane. Mais, à part quelques succès commerciaux (Jeux de guerre, Danger immédiat), il n’avait plus réalisé de films majeurs.
J’ai cependant apprécié la poésie qu’il a su mettre dans ses images, son parti pris de filmer en noir et blanc (jusqu’à ce que, pour Jonas, la mémoire du passé et, par là-même, les sentiments reviennent). C’est alors, devant ces scènes de joie et de bonheur que nous voyons à travers le regard émerveillé du jeune homme, ou a contrario, devant les scènes de violence qui le bouleversent, que nous sommes, nous spectateurs, submergés par l’émotion.
Bien entendu, comme dans tout film de ce genre, on ne peut s’empêcher de remarquer les incohérences et les anachronismes (en particulier lors de la fuite de Jonas, adolescent habitué au confort d’une vie toute tracée, lorsqu’il est brusquement confronté aux éléments d’une nature sauvage). Mais nous savons que nous sommes au cinéma et que nous voyons une œuvre de fiction.
Pour autant, on reste sur notre faim mais, n’ayant pas lu le roman, je ne sais si je dois en incriminer le réalisateur ou l’auteur.