Quel artiste ce Wes Anderson ! Touche à tout du cinéma et véritable expert du genre comédie, le réalisateur développe ici quelque chose de purement et simplement cinématographique avec une excellence presque oubliée. Connaisseur des court-métrages, adepte des films d’animation, The Grand Budapest Hotel semble dévoiler en lui un petit amour pour la peinture.

Chaque cinéaste a sa propre vision de l’esthétique et le retranscris de mille et une façon différente à l’écran. Cela peut aller des décors et costumes au choix des plans et de la mise en scène, en passant par divers procédés offerts par la caméra, comme les ralentis ou accélérés. En l’occurrence, Wes Anderson a mis un point d’honneur à proposer quelque chose de simple tout en l’abordant d’une manière assez complexe.

C’est bien simple, quasiment toutes les techniques de filmage sont utilisées. On a affaire à une surabondance de zoom, de travelling, de panoramique, de hors-champs externes et internes et de tout un tas d’autres procédés qui permettent à la fois de donner du dynamisme à l’image tout en conservant sa limpidité. Oubliez donc cet affreux Shakycam qui essaierait de vous faire croire qu’un match de boxe entre octogénaire est aussi énergique que le combat opposant Gandalf à Saroumane. Ici il n’est pas question de maltraiter cette pauvre caméra, il est malvenu de ne pas la laisser tourner tranquillement lorsqu’elle enregistre.

Un aussi gros travail sur la manière de filmer ne peut que résulter d’un travail encore plus gros sur ce qu’elle montre. Et c’est là qu’est amorcée l’imbrication esthétique de ce qu’à imaginé Wes Anderson. Des cadres parfaitement droits, une symétrie très récurrentes, tout est ordonné au millimètre près, comme une chorégraphie architecturale qui s’est construite au fur et à mesure que le film avance. Comme si c’était dessiné à même l’écran par un architecte qui dessine ses plans.

Ou un peintre qui peint son tableau. Car l’une des particularités du cinéma au niveau esthétique, sont bien évidemment les effets spéciaux. Alors que l’ère Hollywoodienne est aux fonds vert, motion capture et autres CGI visant à rendre toujours plus réaliste ce qu’on voit à l’écran, nous pouvons admirer ici à de nombreuses reprises des plans picturaux comme si un tableau était directement filmé. L’impression est grandement renforcée grâce à l’intrigue du tableau du « Garçon à la pomme » qui constitue l’élément clef et principal de l’histoire.

Entre une véritable peinture et l’utilisation du stop-motion et autres effets d’animation, The Grand Budapest Hotel n’a déjà presque plus rien d’un film (au sens premier du terme). C’est lorsqu’on prend conscience de la multiplicité des couleurs vives que l’on ne se sens plus vraiment devant un film mais presque devant un dessin animé. Cette explosion des nuances jure presque avec l’aspect trop rectiligne, et pourtant c’est cette alliance improbable qui fait que l’on y croit malgré l’effet cartoon produit.

Mais le travail d’Anderson ne s’arrête pas là. Avec un tel soin orchestré sur le plan visuel, on est en droit de se demander ce qu’il en est du scénario. C’est justement là la force du cinéaste. Le scénario est assez simple, dès qu’on prend le temps de le décortiquer, tout en étant développé de manière très compliqué, à l’image même du travail visuel apporté au film. Ce n’est qu’une simple histoire de droit testamentaire et de tout ce que cela implique, mais raconté à travers un personnage qui raconte l’histoire à travers un autre personnage. Si bien que ce que l’on voit est en fait l’histoire racontée par le lobby boy au jeune écrivain qui nous le raconte à nous lorsqu’il est vieux. Mais la première scène nous indique que cet auteur est mort et que l’on suit en fait l’histoire racontée à travers un livre. Bien sûr quelques critiques et messages diffusés sont assez percutants et criant de vérité malgré l’aspect quelque peu « road movie » que prend la tournure des choses. Mais c’est surtout son traitement qui est intéressant. Si l’on pense rapidement à un cartoon c’est parce que l’histoire de base est développée de manière burlesque. C’est tout le contraste entre les personnages qui prennent des décisions parfois idiotes mais de manières sérieuses et les conséquences improbables de leurs actes qui rend cette histoire particulièrement légère et drôle. Littéralement, nous avons droit à un film qui regroupe tous les codes du cartoon.

Ainsi que tous les codes du cinéma, puisque non content d’utiliser plus que de raison les différents procédés d’enregistrements de caméra, les formats sont également modifiés à plusieurs reprises durant le film afin de dater les événements également au travers de l’histoire même du cinéma. Et sachant qu’il y a également l’utilisation d’une voix off pour narrer l’histoire, autant dire que rien n’est laissé au hasard.

Le seul véritable bémol que l’on peut reprocher à cette œuvre se trouve en fait être son surcasting. Les têtes d’affiches sont tellement nombreuses (Edward Norton, Willem Dafoe, Bill Murray, Ralph Fiennes, Owen Wilson, Jude Law, Jeff Goldblum, Harvey Keitel, Adrien Brody, Matthieu Amalric, Tilda Swinton et j’en passe) que certaines n’ont pas le temps d’apparaître à l’écran. Même si chacun à un personnage précis et ne fait jamais véritablement office de figuration (excepté peut-être Léa Seydoux), plusieurs d’entre eux n’apparaissent pas plus de dix minutes, ce qui est dommage. Bien évidemment le jeu de chacun n’en est pas moins bon pour autant, bien au contraire, c’est une véritable performance à laquelle se livrent chacun des acteurs pour nous ravir au maximum.

Ce que l’on peut retenir de ce long métrage serait d’avoir enfin vu un film, un vrai film, avec ses codes, ses évolutions, ses procédés, une véritable prouesse technique qui n’en est pas vraiment une mais que l’on finissait par croire impensable tant certains cinéastes se complaisent dans la facilité et les mises en scènes sans saveurs.

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le 16 mars 2014

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Notry

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