De cet Intruder, on retient évidemment la performance absolument exceptionnelle du "capitaine Kirk" qui atteint une véracité dans son jeu, une forme de "vérité" qu'il n'atteindra jamais plus ensuite. Corman obtient de lui ce que l'on a plutôt l'habitude de voir chez des cinéastes "d'acteurs" comme Cassavetes ou Zulawski. Mais ce qui frappe le plus, c'est la grande réussite technique du film et sa maestria formelle ; la façon dont Corman utilise les codes du cinéma de genre (zooms, contre-plongées, éclairages, montage, gros plans) qu'il maîtrise parfaitement pour réaliser un film social, d'une part. Et d'autre part, c'est aussi l'étude de personnage(s) admirable où rien ne semble "à côté", où tout est profondément juste et finement observé. Au final, impossible de savoir si cet "intrus" est réellement raciste ou s'il n'agit pas simplement par goût de la manipulation, du jeu, de la tromperie, "pour le sport", puisqu'il agit de la même façon au quotidien avec tout le monde, pour toute chose. Ne serait-ce que sa façon de détruire le "petit couple d'à côté", par cruauté ou par simple désœuvrement, parce qu'il sait qu'il "peut" le faire, qu'il en a les capacités. Cette aptitude de sentir les failles, les fêlures, les petites fissures des êtres humains au milieu desquels il fraye, propre aux manipulateurs mythomanes. Cette scène est splendide. Un vrai bijou au cœur du film, dans laquelle Corman ne se laisse pas aller à ses penchants "d'exploitant" : faute de traduction satisfaisante pour cet immense producteur / cinéaste "d'exploitation", la pierre angulaire du nouvel Hollywood et l'un des cinéastes / producteurs américains majeurs, toutes époques confondues.
D'ailleurs, Corman semble presque en état de grâce constant dans ce long métrage. Il trouve en toute circonstance et à tout moment, la distance juste et le dosage parfait pour délivrer son message sans l'assener et sans être trop didactique ni même moraliste. En cela, les relations au sein de la cellule familiale du père éditorialiste / imprimeur sont fantastiques et permettent quelque chose que l'on voit malheureusement de moins en moins aujourd'hui (partout et pas qu'au cinéma) : de la nuance ! Des zones grises ! Non vraiment, The Intruder est une révélation. Un film qui fait mine de rien mais qui montre à tous les cinéastes de films "à sujets" et de films dits "sociaux", que l'on peut en faire admirablement, sans avoir recours au sempiternel dispositif documentariste ascétique, bateau et "facile". Beaucoup de jeunes cinéastes feraient bien de s'inspirer du vieux maître qui a tout vu, tout fait, tout produit.