Entre génie, décalage, cruauté et déshumanisation

Un film au pitch trompeur, du coup je ne vous le raconterai pas. Sachez simplement qu'il faut prendre avec des pincettes son statut de comédie, et garder à l'esprit que son contexte décalé n'est pas une fin scénaristique en soi. Ho, décalage il y a, et il en va de même de l'humour. Mais il s'agit plutôt d'un humour où l'on rit en-dedans, et surtout si l'on est cynique. Mieux vaut être prévenu, car le film ne fait pas vraiment de concessions.


The Lobster se veut avant tout une critique. De la société et de sa normalisation, de l'amour, de la famille, de la relation à l'autre, de l'égoïsme, de l'Homme (oui, ça va loin !). Le réalisateur use de métaphores inventives pour mettre en scène son propos : trouver un partenaire de vie sous peine de finir transformé en animal, le trouver en fonction de détails d'appariement tels que la myopie ou le fait de saigner fréquemment du nez, chasser (littéralement, avec des battues et tout) les célibataires, adjoindre aux couples en difficulté un enfant, qui permettra de ressouder tout ça... La société est bien organisée, pas de doute : la représentation est tout, et ce qu'elle recouvre n'est rien. Il s'agit donc de se conformer à des règles normalisées (hautement absurdes) plutôt qu'à des principes émotionnels. Le film porte un regard extrêmement cru sur tout cela, la forme accentuant le cynisme dérangeant du fond : l'image est terne, les acteurs semblent être des pantins que la vie a quittés (au passage, on trouve une Léa Seydoux magnifiquement dirigée et employée, un peu à la manière de ce que Malick avait fait de Ben Affleck dans A la Merveille), et l'ensemble est accompagné d'une musique fortement anxiogène.


Le film n'est pas avare en scènes cocasses, regorge d'idées originales créant un décalage malin et surprenant, invitant à sourire... tout en maintenant cette ambiance glauque, entre cruauté et déshumanisation, n'hésitant pas à se montrer violent, tant dans le discours que l'image. Le meilleur exemple étant certainement cette incroyable scène d'un suicide raté, où la victime agonise en hurlant pendant de longues minutes, tandis que Collin Farell profite de l'occasion pour draguer une femme sans coeur, et lui montrer ainsi que lui non plus n'a pas d'émotion. Le dialogue est fort bien écrit, c'est fort bien joué, le décalage fonctionne à merveille. C'est drôle, et pourtant c'est terrible, les cris de la défenestrée hantant l'intégralité de la séquence...


The Lobster est un ovni, furieusement original et créatif, intéressant sous tous ses aspects. Mais il ne se destine clairement pas à n'importe quel public (un Prix du Jury à Cannes, c'est forcément particulier).

Mwarf
8
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le 31 août 2015

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