Spoilers -- mais va perdre ton film avec ta cité, là

Dès le démarrage, tu vois le film sépia, tu comprends que le réa s'est cru sur Instagram.
Les premiers dialogues apportent subtilité au scénar :
HÉROS - Roh je vais passer pour un blaireau, je suis le seul sans médaille !
MEC DANS LA FOULE - Tss, il a des aïeux perraves.
Scène suivante : "Eh, Jean-Louis, ça te dirait de cartographier la Bolivie ? T'y gagnerais une médaille, et tu laverais l'honneur de la famille !"
Jure, je l'avais pas vu venir. Je l'avais pas vu venir tellement c'était gros.
Et plat. Ce film n'a pas de relief. Ya pas de tension. C'est même pas contemplatif, hein. Ya pas de rythme. Ça se ressent surtout dans les ellipses à la truelle : la première expédition, d'après les personnages, dure plusieurs semaines au moins ; j'ai eu l'impression qu'ils allaient faire une rando de 4h. Et encore, je suis sympa, parce que le paysage amazonien s'apparente plutôt à une balade au jardin des plantes. Le danger, la moiteur, l'étrangeté de l'ailleurs... Ah ouais, ils ont posé une panthère noire, pouf là, au milieu d'un plan. Je me demande même si ce n'était pas une peluche.
Pareil pour les tribus, elles sont posées là. En fait, il y a un gros souci de mise en scène, qui contribue à cette impression de bouts posés les uns à côté des autres : quand, durant le premier voyage, le gars s'énerve avec son long couteau (celui qui se fait décaniller l'oreille), il s'énerve pour quoi ? Elle vient d'où, sa colère, là? Il a pas eu à bouffer à la cantine des​ acteurs, en fait ? C'est pas l'expédition qui lui fait ça, j'ai bien vu qu'ils étaient partis depuis 2h et qu'ils arrivaient à la cascade 45mn plus tard. Et quand Costin regarde l'indien étourdir les poissons et ne ramasser que ceux dont il a besoin -- parce que c'est trop des gens qui respectent la nature tu vois, pas comme nous qu'on est dans les villes et on n'a plus ce contact privilégié avec mère nature et la chanson des saisons --, j'ai l'impression de voir une pastille posée là. Ils faisaient de plus beaux enchaînements dans "C'est pas sorcier".
Tiens, tant que je suis sur cette scène : les piques féministes et humanistes du film, bien plaquées là aussi. La femme du héros n'est que sourires ; elle s'énerve 2mn parce que c'est bon, elle pourrait le faire avec lui, ce voyage, pour qui tu me prends ; bon tu veux pas, OK je me remets à sourire. Allez, un dialogue de plus bien premier degré, bien factuel. C'est quoi, ils ont des prétentions façon Nouveau Roman, aussi ? Cette scène est aussi un très bon exemple du manque de nuance des personnages. Toute position est monolithique. Les échanges sont des successions d'à-plats de couleurs primaires, sans doute à cause du montage désastreux décrit plus haut, des dialogues sans finesse, mais aussi du jeu transparent et neutre des acteurs. Quand le héros, au milieu de l'Amazonie, brûle la lettre de sa femme, comment veux-tu savoir s'il fait ça parce qu'il veut se concentrer sur sa mission, parce que ça lui fait du mal de la lire, ou parce qu'elle le saoule ? Je sais pas ! Ya pas moyen de savoir ! Démerde-toi !
Tout est tellement superficiel que j'ai cru voir une bande-annonce de 2h20, sans intensité, sans jamais que le film ne prenne le temps de se poser dans une séquence. C'est tellement survolé qu'il y a des débuts d'intrigue sans fin : durant l'altercation avec le faux explorateur poltron qui l'accuse d'abandon fuse un "Je lui ferai payer !". Mais tu sors pas ça dans un film sans qu'il y ait au moins une petite conséquence ! Là, rien ! Oublié ! Page tournée ! Ils ont dû se serrer la pogne entre deux scènes, écoute, je ne vois pas d'autre explication.
Je sais pas, moi... Je vais voir un film sur un explorateur de l'Amazonie, je me dis qu'ils vont penser à Léry et "Voyage en terre du Brésil" (et peut-être à Bougainville aussi, mais lui il est raciste alors il est pénible, globalement), qu'il va y avoir quelques petits parallèles entre les faux "sauvages" du Brésil qui se montrent très hospitaliers et vivent en respectant leur environnement, et les vrais "sauvages" d'Europe qui pratiquent la guerre industrielle. Mais non, c'était trop demander. Bah excuse-moi, aussi, chais pas, Montaigne en parlait déjà au XVIe, ça doit être périmé, on va juste montrer qu'ils bouffent leur vieux (excellente technique de recyclage ; bientôt dans vos bacs à tri) et qu'ils ont des techniques rigolotes de pêche.
Tiens, j'ai pas parlé du héros. Bah ouais, rien à dire. Il est brave, magnanime, plein d'espoir, il a une jolie famille, il baisse jamais les bras, il est poli et il se mouche pas dans sa manche. C'est Tintin javellisé.
J'ai dit que le montage était poucrave ? Attends, je t'ai pas parlé de l'alcool vidé de la flasque sur lequel se superpose un train qui coule, pardon, qui roule dans le même sens. J'ai passé deux minutes à chercher un sens à cet enchaînement. C'est... Ça n'a aucun sens. Purée c'est tellement juste pour faire joli qu'on dirait du Dolan, merde.
**
Attends, j'ai pas fini. J'ai feuilleté les avis de la presse. Alors j'ai deux/trois ptits trucs à ajouter.
- "reconstitution hallucinante des tranchées de 14-18" Non. Déjà, arrête d'utiliser "hallucinant" à tort et à travers. Et puis non, j'ai vu plus de réalisme guerrier dans certaines kermesses d'école primaire.
- "homme déchiré entre devoir familial et quête d'un nouvel Eldorado" Vite fait, alors. J'ai pas trouvé qu'il résistait trop à la tentation, quand même. J'ai essayé de voir le choix cornélien, mais ça tient même pas.
- "James Gray réussit un film épique, au croisement de Lawrence d'Arabie et d'Apocalypse Now" Cette critique m'a fait pleurer. Je sais pas, vous avez des critiques de nouveaux films à faire, peut-être que vous ne regardez que ça. C'est pas mon boulot, alors j'ai eu le temps de les revoir récemment, ces deux films, et non. Non t'as pas le droit de dire des choses pareilles. Lawrence, tu le sens s'imprégner petit à petit des peuples avec lesquels il échange. Dans Apocalypse Now, t'as pas besoin de faire dire à un perso toutes les dix minutes "ah lala quel enfer vert !" Ton propre salon se transforme en enfer. Vraiment, là, l'Amazonie a l'air aussi dangereuse que l'eau de mon bain.
- "réflexion mélancolique sur la liberté et le destin" Ah ouais mais trop, ya une voyante qui lui dit son destin. C'est vrai, ça parle de destin.
- "classicisme". Redéfinissez-moi le terme. Il y a de l'intensité dans un classique.
- "Puissant, tragique et plastiquement achevé" Je l'achèverais bien au plastique.
- "épopée" Ouais, moi aussi : "la formidable épopée de pobbywatson en promenade digestive au jardin des plantes"
- "un drame captivant". Yep. 2h20 de captivité.
- "fresque ample et intime" CMB.
- "réel vertige", "réelle beauté". Voilà, un film vrai, tu vois, je vais pas donner d'argument mais c'est vrai. C'est réel. Ça veut dire que euh... C'est là, quoi.
- "apothéose inattendue" Non.
- "paternité" début du film : "un jour, mon fils, nous chasserons ensemble". Fin du film : "tu vois, mon fils, on va crever, mais tout ça c'était bien cool". Voilà.
- "l’obsession virant à la folie". Trop. Le gars se réveille à l'hôpital militaire "ouh lala je fais que rêver de la forêt amazonienne !". La folie, je te dis.
- "se termine en mirage métaphysique". Et moi je mets mon chapeau.

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le 31 mars 2017

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