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Tous deux en compétitions au festival de Cannes, « Elle » et « The Neon Demon » s’imposent chacun en thriller à la violence exacerbée, où la féminité joue un rôle central, notamment par le pouvoir de fascination qu’exercent leurs actrices principales respectives. Pourtant, à l’image de la différence d’âge et de personnalité de ces deux sommets d’interprétations (Isabelle Huppert joue la quinqua manipulatrice et affirmée, Elle Fanning la teenager vierge immaculée à la beauté sculpturale, l’ange au milieu des démons) les deux longs-métrages prennent des directions thématiques et esthétiques tellement opposées qu’ils représentent deux extrêmes de la diversité et la vigueur d’un cinéma d’auteur qui fut bien représenté dans la sélection cannoise – et nettement moins dans son palmarès.


Tout connaisseur du cinéma de Nicolas Winding Refn sait que le dispositif formel de ses films tient une place essentielle, au point que beaucoup y voient un écrin superbe mais ne faisant que maquiller désespérément un manque, voire une absence de substance. Le cinéaste trouve pourtant ici plus que jamais un cadre parfaitement en adéquation à ses ambitions cinématographiques : celui de l’industrie du mannequinat de Los Angeles, miroir figé de l’industrie hollywoodienne trônant dans la même ville, entièrement tournée vers les apparences et dépourvue de toute expressivité. Tout, dans la mise en scène comme dans les rapports de force, s’exprime d’ailleurs par miroir. De ceux permettant un champ-contrechamp au sein d’un même plan, à celui démultipliant l’image de notre chère Elle Fanning durant un défilé de mode, Refn trouve un nouveau terrain d’expérimentations visuelles. Il y associe le dualisme des personnages : les tops model déjà perverties par leur métier (physiquement par la chirurgie esthétique, et moralement par un esprit malsain de prédatrices) s’opposent à la nouvelle d’une pureté et d’une authenticité physique la rapprochant d’un Dorian Gray féminin. Et comme ce dernier, ce sont ses pâles copies, factices et rongées par le désir mimétique, qui la mèneront à sa perte : de blanche colombe face aux anciennes passées de mode, elle passe de chair fraîche au milieu de louves enragées.


Cela nous amène au thème traversant toute la filmographie de Refn : la violence, ici amenée avec un peu plus de pincettes que dans ses précédents films. En effet la gradation qu’elle observe, d’allusions et regards sourds à explosion cathartique en fin de métrage, n’est là que pour mieux démontrer la vraie nature des rapports amicaux, révélant une fois de plus leur facticité. Refn évite même le manichéisme en faisant évoluer son personnage principal, par un narcissisme pathologique qui reflète le sien (NWR est crédité une bonne dizaine de fois aux génériques de début et de fin). Cette arrogance démarque Elle Fanning de ses rivales tout en rabaissant sa gueule d’amour qui semblait si innocente au début du récit. Mais il le fait au prix d’une déshumanisation monolithique de son film, qui ne trouve pas même de contrepied dans un personnage masculin qui aurait pu proposer un regard extérieur revitalisant s’il avait été plus exploité. La froideur morbide envahie même la représentation de l’acte sexuel, déréalisée au point d’en manquer de pertinence, là où elle aurait pu troubler le spectateur de manière beaucoup plus ambivalente.


C’est finalement et une fois de plus l’atmosphère que Refn peaufine avec le plus de cœur : les jeux de lumières à se damner rentrent en osmose avec l’incroyable bande-son de Cliff Martinez, un aboutissement plastique et sonore qui fascine du premier au dernier plan, presque au point d’épuiser la rétine du spectateur. Le réalisateur dépasse ainsi un postulat dénonciateur proche du nihilisme, montrant qu’un propos acerbe peut-être magnifiquement détourné par une mise en image profondément artistique.

Marius_Jouanny
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le 11 juin 2016

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Marius Jouanny

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