Alors qu’il avait débuté sa carrière avec Pusher, trilogie teintée d’un réalisme certain, Nicolas Winding Refn a semble-t-il depuis 2009 adopté un nouveau parti-pris cinématographique, qu’il consacre à une véritable vocation esthétisante. Depuis Bronson, le réalisateur danois impose sa marque, qui n’a par la suite eu de cesse d’évoluer. De Valhalla Rising à Only God Forgives, NWR s’est épanoui dans un univers cinématographique singulier, auquel Drive a su donner la fatale impulsion. Ses deux dernières collaborations avec Ryan Gosling, celui qu’il définit comme son alter-ego à l’écran, ont donné une saveur toute particulière à sa filmographie : entre esthétisme et surréalisme, NWR nous propose aujourd’hui un cinéma hors du temps, qui s’affranchit des limites du réel et se transmet à travers le regard bleu acier de ses acteurs. Sorte de réponse féminine au dernier long-métrage du danois, The Neon Demon a été présenté par ce dernier comme une véritable conclusion de ce qui a été construit depuis Drive.



« Thank you for the makeup. »



Avec son dernier long-métrage, NWR aspire d’entrée à plonger son spectateur dans le monde des apparences. Après un générique prenant, qui n’est pas sans rappeler celui de Drive, et dans lequel le réalisateur impose sa nouvelle marque traduite par le sobre acronyme « NWR »¸ Refn porte son spectateur dans un milieu qu’il définit lui-même comme faux : celui de la mode. La première scène traduit en ce sens à merveille les ambitions multiples du film puisqu’elle allie d’entrée esthétique baroque et macabre, thématique du faux-semblant, regards intenses, ambiance sonore oppressante et jeux de lumière agressifs. De la sorte, The Neon Demon apparaît dès les premières minutes comme une œuvre des contrastes, incisive et dangereuse. Par la suite, ce sont davantage les choix esthétiques qui vont rythmer la dernière production du danois. Il s’agit en effet ici d’un enchaînement de tableaux sublimes qui se présentent chacun comme de véritables exercices de style et qui offrent une composition qui trouve son harmonie dans ses dissonances.


La bande-originale composée par Cliff Martinez, qui signe ici sa troisième collaboration avec NWR, permet de donner un rythme non seulement entraînant au long-métrage mais également, et peut-être davantage, une dimension inquiétante et oppressante qui traduit les maux pointés du doigt par le réalisateur danois. La sonorité électro de cette bande-originale fait état d’une certaine agressivité qui plonge le spectateur dans cette fable macabre à même de transmettre un sentiment de malaise qui trouve quant à lui son paroxysme dans un motif plus carnassier. Pour accentuer cette puissance sonore, NWR utilise des silences pesants, qui font écho deux autres jeux de contraste majeurs du film : celui entre les couleurs, avec une alternance entre bleu et rouge, et celui entre les lumières, avec une alternance entre luminosité agressive et noir complet.



« Beauty isn't everything. It's the only thing. »



Mais au-delà d’une œuvre esthétisante, The Neon Demon se révèle également être une œuvre puissante à même de remettre en question le primat des apparences qui rythme aujourd’hui la société moderne. Ce n’est donc pas un hasard si NWR partage sa fascination pour le regard de ses acteurs à travers ses films. Elle Fanning, décrite par le réalisateur comme son alter-ego féminin, répond grâce à un regard d’une rare intensité à Ryan Gosling et crée un lien indéniable entre les deux personnages que l’acteur a incarné devant la caméra de NWR et celui de Jesse. Cette thématique des apparences est appuyée par une emphase sur le motif du miroir, qui permet de déployer une perversion narcissique traduite par une passion de l’image, dès lors véritable mise-en-abyme de ce dans quoi NWR lui-même s’épanouit.


D’autre part, chaque plan proposé par le réalisateur se veut empreint d’une symbolique singulière, qui permet à The Neon Demon de se muer en une fable critique qui oscille donc entre narcissisme pervers et dépossession de soi. Cette dernière thématique est d’ailleurs traduite dans l’une des premières scènes du film par une performance à la fois artistique et esthétique qui n’est pas sans rappeler une scène similaire du récent Lost River de Ryan Gosling. Ce lien logique entre les deux ‘’réalisateurs’’ montre par ailleurs à quel point NWR se complaît dans l’autocitation et le travail familial, et ce malgré la mention à Alejandro Jodorowsky qui, sans aucun doute, a inspiré les dernières minutes du film ou l’esthétique baroque semblable à celle de Brian de Palma.


Par ailleurs, bien que l’esthétique surréaliste déployée dans Only God Forgives ait pu être déstabilisante, NWR poursuit dans cette voie en proposant à nouveau une narration marquée par cette esthétique qui se substitue véritablement au simple baroque, et lie de ce fait ses deux dernières œuvres. Que ce soit le fond la forme, ou même le destin des personnages (ce qui donne donc fatalement lieu à une fin assez convenue), les deux œuvres sont bel et bien liées et permettent l’érection d’une trilogie cohérente qui découle directement de Drive, film qui avait avant tout permis à NWR de déployer de nouveaux canons esthétiques basés sur des jeux de lumière et des mouvements de caméra singuliers, empreints d’une lenteur ivre.



« People believe what they are told. »



Evidemment, The Neon Demon¸ est une étape cohérente dans l’œuvre de NWR, mais le long-métrage prend également une dimension d’aboutissement. Il ne s’agit pas uniquement d’esthétique, mais également d’un travail sur le cadre et sa composition. Au-delà d’un jeu sur les contrastes, NWR place Elle Fanning au cœur d’une composition de plans sublimes qui laissent tous une liberté vertigineuse à la jeune actrice, qui semble parfois perdue au centre de plans qui la dépassent. On retiendra ainsi une scène de shooting photo où NWR va encore plus loin et s’affranchit de tout cadre défini. Il ne s’agit peut-être pas ici de virtuosité à proprement parler, mais plutôt d’un travail de composition méticuleux qui est à l’origine de la virtuosité esthétique du réalisateur.


Véritable leçon créatrice, The Neon Demon est sans conteste l’une des œuvres les plus abouties de Nicolas Winding Refn et lui permet ainsi d’achever un cycle fondateur de sa marque. A la fois comédien et créateur, le réalisateur danois signe une nouvelle toile esthétique qui interroge, inquiète et fascine. Finalement, Nicolas Winding Refn travaille à la redéfinition du Beau à travers une œuvre à la saveur particulière.

vincentbornert
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2016

Créée

le 6 juin 2016

Critique lue 291 fois

2 j'aime

vincentbornert

Écrit par

Critique lue 291 fois

2

D'autres avis sur The Neon Demon

The Neon Demon
Antofisherb
5

Poison Girl

Bon allez, pas d’introduction bien tournée pour cette fois, pour éviter toute confusion et parce qu’on colle des procès d’intention au film pas tout à fait pertinents, je vais commencer par quelques...

le 8 juin 2016

196 j'aime

45

The Neon Demon
Gand-Alf
5

Beauty is Everything.

Le temps d'un plan, j'y ai cru, au point d'en avoir une demie molle. Le temps d'un opening theme fracassant, me renvoyant au temps béni de Blade Runner, et dont les basses me parcourent l'échine avec...

le 20 juin 2016

193 j'aime

6

The Neon Demon
Sergent_Pepper
8

Splendeur et décadence.

La plastique, c’est hypnotique. La bande annonce, le clip, la publicité : autant de formes audiovisuelles à la densité plastique extrême qu’on louera pour leur forme en méprisant le plus souvent...

le 13 juin 2016

149 j'aime

19

Du même critique

La Promesse de l'aube
vincentbornert
6

J'ai vécu.

Adaptation de l’un des plus grands romans de la littérature française de la seconde moitié du siècle dernier, La promesse de l’aube d’Eric Barbier est un beau défi pour ce qui est de rendre hommage à...

le 20 déc. 2017

26 j'aime

Detroit
vincentbornert
6

Des droits

Alors que les deux derniers longs-métrages de Kathryn Bigelow interrogeaient l’interventionnisme étasunien au Moyen-Orient, la réalisatrice choisit, avec Detroit, de recentrer sa caméra sur le sol...

le 8 oct. 2017

15 j'aime

3

Gauguin – Voyage de Tahiti
vincentbornert
4

Koké vide

Alors que l’on voit, depuis quelques années déjà, fleurir les portraits de grands représentants de la culture européenne (de Cézanne à Rodin, de Turner à Karl Marx), Edouard Deluc se plie, lui aussi,...

le 21 sept. 2017

11 j'aime