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Les retrouvailles entre Scott Cooper et Christian Bale, après la réussite de leur collaboration en 2017 dans Hostiles, avait de quoi exciter : le sens de l’atmosphère du premier, associé à l’incarnation puissante de retenue de l’autre avait sur faire mouche la première fois, et voir leur collaboration délocalisée dans l’univers du polar gothique pouvait s’avérer prometteur.
The Pale Blue Eye situe donc son intrigue au cœur de l’académie militaire de West Point, en 1830, dans laquelle un meurtre qui a tout du rituel satanique va donner du fil à retordre à un détective dont les méthodes attestent d’une longueur d’avance continue sur tous les amateurs qui l’entourent. L’enquête a tout d’un balisage assez conventionnel, avant que ne se fasse remarquer une recrue singulière en la personne d’Edgar Allan Poe.


A ce stade, toute l’esthétique du film semble se plier à la personnalité du futur auteur, qui fait des Highlands le paysage idéal de sa posture, torturée mais d’une rare élégances, atypique et fascinante à la fois. Les colorations bleutées et froides, la neige omniprésente et le travail sur les clairs-obscurs travaillent une atmosphère qui enrichit considérablement le premier plan de l’enquête ; les liens entre les protagonistes (le duo avec l’enquêteur, et plus tard, les débuts d’une relation on ne peut plus sublimée avec une femme), fondés sur des échanges très écrits, à la limite de la préciosité, confèrent eux aussi une délicatesse un enrichissement qui se nourrit d’un imaginaire romanesque littéraire tout à fait bienvenu.


Car il s’agit bien d’aller gratter sous la surface policée des conventions : celle d’une éducation militaire fondée sur la discipline et le protocole, qui incite les permissions à devenir on ne peut plus permissives, ou de la cellule familiale bourgeoise dans laquelle sourdent des névroses toujours prêtes à exploser. La scène du repas, d’abord dans une retenue assez inconfortable, semble diriger le spectateur vers la radiographie sans fard que faisait Peele dans Get Out, et promet des descentes assez fascinantes dans les basses-fosses de la psyché humaine.


Ce ne sera malheureusement pas le cas. Une série de flash-backs solaires assez pesants nous rappelle régulièrement que les conventions veillent en embuscade, et toute la dernière partie du récit reprend sagement les rails d’un policier avec résolution et twist de circonstance. Le grand guignol en guise d’apogée ne s’embarrasse pas de cohérence et sacrifie donc au profit de ce qu’on croit être du spectacle tout ce qui pouvait donner de l’intérêt jusqu’alors, par des personnages ténus et sur la réserve, et le retournement final, censé relancer la machine pour satisfaire pleinement les désirs du spectateur, n’obéit qu’à un cahier des charges édifié par une plate-forme persuadée de devoir augmenter les doses pour assurer la qualité narrative de son produit. Encore raté.

Sergent_Pepper
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le 9 janv. 2023

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