Insultant, provoquant, vulgaire, sale, vaniteux.
Parvenu, dérangé, autosuffisant.
Peter Greenaway est mal-aimé.
Pourtant, par son attitude passablement provocatrice, par ses déclarations à l'emporte-pièce, par ses affirmations prétentieuses au sujet du cinéma et de l'art, par le personnage public qu'il s'est créé, Peter Greenaway s'est offert le plus beau des présents.

La liberté.

Le marginal peut tout se permettre.
Que lui importe de choquer quand il est ouvertement haï.
Que lui importe de bouleverser convenances et conventions.
Que lui importe unions contre-nature et rencontres inconvenantes.

L'artiste exerce son art, seul lien honnête au monde - faisant fi des apparences - avec une audace et une passion que seul un isolement assumé peut offrir.

Pour engendrer un chef-d’œuvre.

Troublant dans son approche, The Pillow Book brille d'abord par les multiples lectures qu'il propose. Greenaway superpose les plans, met en abîme ses images, diverge puis recentre son propos. Loin de nuire à la compréhension, cet artifice installe un sentiment grisant d'omniscience, une agréable conscience du TOUT.
Pourtant les détails fourmillent – le film mérite plusieurs visionnages – et cette impression est illusoire. Le potentiel suggestif est infini. Le regard puis l'esprit se perdent dans la beauté de ces plans à la profondeur vertigineuse, se superposant avec grâce.
Grâce qui règne par ailleurs. Car à l'affolante complexité de certaines scènes s'oppose la douce simplicité des autres. De cette duplicité naît un équilibre précaire mais jamais rompu. Entre ombre et lumière, unité et multiplicité, violence et sensibilité. Greenaway n'a jamais été aussi juste. Poétique. Le cinéaste filme les corps - sublime nudité calligraphiée - avec amour. Il les met en lumière, les immortalise.
Il s'attarde.
Le temps passe diffusément, invité permanent – ces anniversaires ritualisés – mais discret. Il semble n'avoir qu'une importance relative, éphémère. Par opposition aux écrits, symboles d'éternité, tel ce livre de chevet vieux d'un siècle. Duplicité et contradiction toujours, c'est sur les corps, enveloppes mortelles dont le temps est compté, que Nagiko inscrit ses mots.
Les livres brûlent.
L'éternité est donc ailleurs. Il faut savoir s'attarder.
Du japon éternel à la fourmillante Hong Kong, Nagiko court après l'instant, en quête d'un sens, des sens. Et d'une vengeance que ne renierai pas le cinéma asiatique. Amour et haine sont indissociables ici.
La perversion est partout, le vice est roi. Mais une retenue toute japonaise adoucit – embellit – le tableau. De barbares, les actes deviennent symboliques, sublimés par une lumière parfaite et une musique transcendante. Les névroses deviennent inspirations. La tristesse devient joie. Le feu destructeur devient force créatrice.

Ode à l'écriture, plus qu'à la littérature, The Pillow Book est le film d'un artiste amoureux de l'art, un conteur passionné, un marginal assumé.
-IgoR-
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le 11 mai 2014

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