Le film ne se laisse pas dévorer et emprisonner par son concept, comme ça peut arriver à un Noroï (2005) : au contraire on le transcende quand on en ressent le besoin, et ça passe crème. C’est un objet efficace et élégant dans ses effets, toujours juste ce qu’il faut. Même la construction narrative fonctionne bien.

Certains moments de pur film d’épouvante font vraiment parler la poudre, comme toute la traque de Cheryl dans sa maison, jusqu’à filmer le couple de derrière le canapé. Vous fermez bien la porte le soir, après ce film !

Et l’entretien final avec Cheryl, rah, cool ! D’ailleurs, le personnage de Cheryl a des fulgurances fascinantes. La première fois que le tueur la bat et lui demande de s’appeler « Slave », elle répète « Cheryl », et il lui faut un deuxième coup pour se soumettre, là où on aurait pu attendre une soumission immédiate de n’importe quelle autre victime dans cette situation. Ce mojo-là m’a pas échappé, pas plus que ce moment où le tueur lui demande de tuer à son tour : là où tu pouvais attendre des tremblements, des larmes, du surjeu victimaire de mauvais film d’horreur, Cheryl égorge la nana sans hésiter une fraction de seconde. Au-delà d’un simple jeu avec les « codes », d’une simple recherche de l’imprévisible, y a un truc chez ce personnage de Cheryl qui est passionnant et qui est probablement à l’origine de l’amour que le tueur lui porte. Mais ces choses sont tues, toujours à peine perceptibles, et ça ma bonne dame c’est de l’élégance.

Si Cheryl était au cœur des ténèbres et évidemment totalement pervertie par celles-ci, elle n’est pas la seule à avoir été touchée. De façon beaucoup plus distante et indirecte, le type du FBI qui a dû se taper les 2400 heures de cassettes propose des interventions très intéressantes. Avec ce gars – en dehors d’une réplique explicite un peu kitsch où il raconte que sa femme n’a pas pu coucher avec lui pendant un an après avoir vu trente minutes de cassette –, tout passe par les yeux, le non-dit, bref par l’actorat. Le mec en fait pas des tonnes, il prend le truc avec humour, et cette façon de pas mettre les pieds dans le plat fait d’autant plus fonctionner notre imagination quant aux horreurs indicibles qu’il a dû voir sur ces cassettes.

J’ai dit le gros mot, « actorat », mais faut le citer, dans ce film. D’une part c’est toujours juste, et d’autre part c’est pas monolithique d’un personnage à l’autre. Chacun a sa personnalité, ses réactions, c’est toujours organique et… juste, si je peux me répéter. Peu de films d’horreur peuvent se permettre, sans risquer le kitsch et le chiqué, un plan rapproché fixe aussi long sur une victime assise à l’arrière d’une voiture de police qui réalise peu à peu, au fil de longues minutes, qu’elle va mourir. Et si cette simple descente ne suffit pas, faisons-lui aussi jouer une lugubre remontée d’espérance à travers une conversation malsaine et une proposition de vie sauve contre un viol sans bavure. Puis faisons-lui jouer l’ascenseur émotionnel d’un rejet de ce deal par celui-là même qui l’avait suggéré. Tout ça en plan-séquence, tout ça en jouant juste. Normalement, si j’ai bien lu Bresson – et j’ai bien lu Bresson ! –, le cinéaste futé évite les émotions intenses parce qu’elles puent le faux. Bah mon ami Robert, j’ai bien regardé cette scène, et j’étais pris. Quand le réalisateur sait ce qu’il cherche, l’actrice trouve, et ça marche.

Tout est intéressant dans ce film. Le kitsch et le folklore résiduels ont pour bonne excuse le concept, ça efface les imperfections, voire ça les légitime, ça c’est le superpouvoir du faux documentaire.

Et le superpouvoir apporté par le found footage, c’est l’image granuleuse et distordue d’une VHS dégradée qui fait passer toutes les pilules visuelles, fait marcher tous les effets par magie. Alors on le crie bien fort : nique la 4k ! Encore faut-il avoir l’élégance de pas se faire prendre en flagrant délit de planquer sa médiocrité sous le tapis du grain et de l’image crado. Mais de la médiocrité, dans The Poughkeepsie Tapes, j’en vois pas beaucoup.

Scolopendre
8
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le 12 mai 2024

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Scolopendre

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