Le vide n'a jamais été aussi sublime.

Après la statuette de meilleur réalisateur glanée en 2014 pour Birdman, Alejandro González Iñárritu s'attaque à un récit mythique, celui d'un trappeur, Hugh Glass, improbable réchappé d'une confrontation dantesque avec un Grizzli en 1823.


Comme son titre le laisse penser, The Revenant est une histoire de survie, celle d'un homme mutilé dans sa chair et dans son esprit par la nature sauvage, mais surtout par la nature humaine. Seul et agonisant, Hugh - Di Caprio - Glass va devoir se relever seul dans un environnement qui ne lui épargnera aucune légèreté. Pas d’esbroufe scénaristique ici, le pitch est primaire, la quête de vengeance sera l'unique fil conducteur de ce film qui s'étale sur plus de deux jou... heures.


Car oui, premier constat, The Revenant est un long métrage qui ne s’embarrasse pas du rapport entre sa durée intrinsèque et la complexité de son intrigue. Il faut dire que l'exercice cinématographique est complexe. Iñárritu nous narre l'histoire d'un homme dont le combat contre la mort s'est gagnée seconde après seconde, et ce pendant des jours et des jours. Dès lors, comment retranscrire cette temporalité presque irréelle dans un film d'un format standard? Ou plutôt, dans cette quête pour la survie, comment faire peser sur le spectateur le poids insurmontable du temps?


C'est visiblement avec cette problématique en tête que le réalisateur a construit son film, multipliant sans discontinuer des péripéties de plus en plus insurmontables, faisant passer un certain Nathan Drake pour le genre de mec un peu plan-plan qui commande des sushis par téléphone le soir, tranquillement posé sous un plaid, devant un épisode de Grey's Anatomy. Hugh Glass n'est pas un trappeur à prendre à la légère, et il va devoir littéralement revenir d'entre les morts pour parvenir à ses fins.


A ce titre, Dicaprio se montre extrêmement convaincant, s'investissant corps et âme dans un rôle manifestement éprouvant. Son interprétation ne souffre d'aucun compromis, un exploit d'autant plus nécessaire que le personnage en lui même s'avère être un véritable gouffre en terme d'écriture. C'est simple, Hugh Glass n'inspire absolument rien de particulier. C'est un survivor incroyable, mais son script tient sur 2 pages. Le paradoxe devient encore plus frappant à mesure que l'antagoniste principal, incarné par l'excellent Tom Hardy, s'avère mieux travaillé et bien plus captivant. Cette évidence soulève une question. L'oscar du meilleur acteur ne récompense t-il que l'interprétation pure et dure, ou vient-il saluer aussi l'effort fourni lors de la composition du protagoniste?


Cette faiblesse dans l'écriture ne se cantonne pas qu'au héro. Attaquons nous sérieusement à ce qui fait de The Revenant un film vraiment très étrange. Il émane de cette oeuvre un contraste particulièrement saisissant entre la finesse magistrale de la forme, et le vide désespérant du fond. Le travail photographique (Emmanuel Lubezki, Tree of life, Gravity...) est tellement fascinant qu'il plonge le spectateur averti dans une sorte de stase contemplative. L'intrigue, déjà intrinsèquement très faible, est irrémédiablement reléguée à un plan très lointain, presque insignifiant. La réalisation est irréprochable, c'est très solidement mis en scène, c'est d'une beauté imparable, mais dieu que c'est chiant! C'est inconcevable d'atteindre un tel niveau d'esthétisme parallèlement à un tel gouffre d'écriture.


Au final, il semblerait qu'Iñárritu ait voulu faire un film taiseux, comme un western, suscitant l'émotion par le silence et la brutalité des péripéties, le tout à travers une mise en scène manifestement viscérale. Il en ressort un long métrage à la forme exemplaire, mais au fond creux comme une coquille vide. Doté de qualités surprenantes comme de lacunes incompréhensibles, il apparaît assez peu probable que The Revenant s'inscrive comme un "chef d'oeuvre" de manière durable, de sorte qu'il résiste au poids des années à venir.

Jok85
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le 3 mars 2016

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