Il y a des films qu’on aurait pu ne jamais voir. Chaque année, on en rate des dizaines, voire des centaines, en sachant pertinemment que certains d’entre eux méritaient d’être vus, mais les circonstances, ou une mauvaise distribution, décident souvent du contraire. Cela aurait certainement été le cas avec The Rider, que j’ai pu découvrir en avant première grâce à un ami cinéphile qui avait gagné des places et avait pu découvrir le film à Deauville. Heureux coup du sort, car passer à côté de ce film aurait été fort regrettable.


Les grands espaces américains ont toujours été source de fascination. Vierges, hostiles et merveilleux, ils sont le repaire des cowboys et des chevaux sauvages, loin du tumulte de la vie citadine où la foule grouille dans les métros et les immeubles. C’est le cadre de vie de Brady, cet adepte du rodéo qui a passé sa vie à braver le danger en montant taureaux et chevaux en furie, risquant sa vie à chaque instant et se remettant encore d’une blessure sérieuse à la tête. Sa vie est très routinière et simple, rythmée par les sorties à cheval, le dressage, les bavardages avec sa singulière petite sœur, ou avec ses amis autour d’un feu. Il est bon de préciser que le film est très largement inspiré de la vie de Brady Jandreau, l’acteur principal, qui joue son propre rôle, comme tous les autres personnages, et c’est ce qui permet de conférer au film une véritable authenticité.


Grâce à une réalisation très soignée, Chloé Zhao se montre très proche de ses personnages et rend un magnifique hommage aux grands espaces américains. Grâce aux jeux de lumière et d’ombre naturels, à l’association des couleurs magiques et très particulières de l’aube et du crépuscule, The Rider est rempli de plans qui mériteraient d’être immortalisés et encadrés. Un Tarkovski pourrait approuver les plans du vent qui souffle sur les herbes hautes, tout comme les contrastes entre un ciel orageux et un sol jauni, qui pourraient rappeler au bon souvenir de John Ford, Clint Eastwood ou encore d’un There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson, autant de références de qualité témoignant de la beauté visuelle de The Rider. Bien entendu, le tout sert à envelopper un récit profond, empreint de sincérité et de drames humains touchants et réalistes.


Malgré son aspect très terre-à-terre et très proche de ses protagonistes, le film parvient à embrasser diverses thématiques, allant de notre rapport à la nature, hérité des grands westerns, à ce qui donne à notre vie une raison d’être. Brady est très attaché à sa terre, mais aussi à ses chevaux, avec lesquels il parvient à établir une véritable communication qui se voit et se ressent tout le long du film. Il est bon de noter que la plupart des plans où Brady est en extérieur, sans ou surtout avec des chevaux, sont colorés et empreints de magie, quand les plans en intérieur ou en ville sont plus mornes et ternes. Les chevaux, qu’il dresse et qu’il apprivoise, constituent son lien avec cette nature immense, flamboyante et enivrante dans laquelle il trouve ses racines, et dont il a besoin. Ces chevaux, il les aime, mais il doit aussi se battre pour vivre avec eux, il doit réussir à les apaiser, voire à les dominer lors de compétitions de rodéo endiablées.


Ces dernières représentent pour lui un défi, une passion, assouvissant, d’un certain point de vue, un orgueil naturel et irrésistible qui lui permet de se mettre en danger pour chercher ses limites et se sentir réellement vivre. Car c’est proche de ses chevaux, dans ces moments en communion avec la nature, ou dans des défis parfois déraisonnables qu’il trouve un vrai sens à la vie. Sa blessure le contraint d’ailleurs à s’éloigner un temps de ces activités, et sa vie devient rapidement ennuyeuse et morne. Cantonné à devoir faire preuve de raison, à ne pas pouvoir respirer à plein poumons lors de longues chevauchées, il doit se résigner à travailler dans une supérette, il erre, sans vrai but. C’est là le principal message de The Rider, qui montre que notre existence suit un chemin, que nous avons tous un but, et que sans ce but, notre vie n’a pas de vrai sens, qu’on ne fait, finalement qu’exister. Cette idée trouve également de la perspective auprès du personnage de Lane, irrémédiablement handicapé, pouvant à peine bouger à cause d’un accident de rodéo mais qui, grâce à Brady, retrouve le sourire et davantage de discernement lorsque ce dernier imite une séance de rodéo avec lui, réveillant en lui la flamme qui s’est éteinte.


Dans un film intimiste, rendant un splendide hommage à la nature et racontant une histoire authentique avec des acteurs racontant ici, à quelques détails près, leur propre vie, Chloé Zhao nous entraîne, nous émeut et nous fait réfléchir. Avec authenticité et une touchante sincérité, The Rider explore des thématiques profondément humaines capables de parler à tout le monde. Ce film a pour qualité non négligeable d’être capable de briller autant sur le fond que sur la forme, avec des plans magnifiques offrant un cadre somptueux à cette histoire vraie et humaine. Une très belle réussite !

JKDZ29
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le 13 mars 2018

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JKDZ29

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