"10 ans après la chute".


C'est sur ces mots que s'ouvre The Rover, ainsi que sur le visage vu de profil d'un homme silencieux, le regard perdu dans ses pensées, assis dans l'habitacle de sa voiture stationnant en bordure d'une route déserte. Il suffira qu'il laisse un instant son véhicule sans surveillance pour que celui-ci soit dérobé par des truands en cavale ayant eut un accident non loin de là. Farouchement déterminé à récupérer son bien, l'homme se lance aussitôt à leurs trousses...


L'indication liminaire ouvrant le film semble à priori situer la trame de The Rover dans un monde post-apocalyptique. Une impression renforcée dès les premières images par l'atmosphère pesante et désolée qui s'en dégage. D'ailleurs, c'est ainsi que le film a été vendu à sa sortie, entraînant du même coup un certain malentendu chez les assidus de post-apo qui s'attendaient probablement à y retrouver un monde en pleine anarchie livré à des hordes de sauvages façon War Boys, dans la droite lignée des grandes oeuvres "mad maxiennes" du genre.


Car au final, la notion de chute évoquée dès cette première phrase recouvre ici une toute autre signification. Cet effondrement annoncé n'étant en rien d'ordre cataclysmique, il s'apparente plus à un bouleversement économique et social de grande ampleur ayant engendré la chute de la société occidentale (australienne tout du moins), certainement au profit de la machine industrielle chinoise (comme semble en attester différents éléments du film dont un train de marchandises aux wagons marqués d'idéogrammes).


L'intrigue prend ainsi place dans une Australie profonde dont les vastes étendues désertiques de l'outback et les routes interminables bordées de bicoques sordides retranscrivent à merveille (comme pour Mad Max en son temps) ce sentiment diffus de décrépitude. Si The Rover est bel et bien à situer du côté de l'anticipation, son réalisateur livre ici sa vision tout à fait singulière et déprimante d'une société (voire d'une humanité) arrivée au bout de son histoire. En témoigne le désespoir évident hantant le regard de chacun des protagonistes et révélé au détour de quelques dialogues. On ne sait finalement que peu de choses sur le contexte mondial de ce futur immédiat, si ce n'est que dans ce nouveau tiers-monde la monnaie a encore court mais circule dans autant d'échoppes délabrées que de bordels sinistres et pédophiles. La vie semble plongée dans une torpeur effrayante, les conversations se font rares, tout le monde se regarde en chien de faïence. Les personnages s'embourbent tous dans un quotidien lassant, perdus dans une zone de non-droit où la vie ne tient parfois qu'à un fil. Et ce malgré la présence d'une milice oisive dont les soldats s'ajoutent au nombre des fantômes absurdes qui hantent encore ce désert.


Parmi eux, il y a donc cet homme solitaire dénommé Eric (Pearce), aussi taiseux que vindicatif, farouchement déterminé à récupérer sa voiture au risque d'y perdre sa vie. Son obstination parfois meurtrière et donc condamnable en devient rapidement énigmatique et l'on ne peut que s'interroger sur le background du personnage et sur les raisons qui le poussent à avancer envers et contre tout. Et à trainer du même coup dans son sillage ce jeune homme étrange (Pattinson), à la fois simple d'esprit et extrêmement lucide, dont on s'interroge également sur les motivations lorsqu'il accepte de guider Eric sur les traces de ses anciens complices dont fait pourtant partie son grand frère. Tout aussi naïf et arriéré puisse-t-il être, Rey apparaît finalement moins comme un handicapé mental que comme un jeune homme sans repères, n'ayant jamais fait l'apprentissage de la solitude et s'étant toujours reposé sur son frangin. Il voit ainsi probablement (à tort) en Eric, un substitut à ce modèle fraternel, et ce malgré le manque total d'empathie de ce dernier, pour le genre humain tout du moins.


Après le succès critique de son Animal Kingdom, David Michod livre un second long déroutant à plus d'un titre. Loin de recourir aux plans larges pour magnifier l'inquiétante immensité de son cadre, le réalisateur préfère resserrer sa mise en scène sur ses différents protagonistes, relever le pessimisme qui se lit sur chacun de leurs visages, insister sur leurs silences inquiétants ou leurs dialogues de sourds. Il privilégie un rythme déconcertant de lenteur, propre à appuyer l'absurdité évidente de cette quête dérisoire aux confins d'une terre de désolation.


Trop souvent sous-employé, Guy Pearce retrouve enfin ici un rôle taillé à sa mesure (après ses formidables performances dans Vorace et Memento), composant un personnage d'une ambivalence rare sur les écrans, constamment rongé par la colère, le désespoir... et la culpabilité.


En témoigne ce dialogue entre le militaire et son personnage au cours duquel ce dernier révèle un crime dont il s'est rendu autrefois coupable et qui est toujours resté impuni. Cette simple réplique donne alors une double résonance à la notion de "chute" évoquée dans l'introduction. Le crime ayant été commis précisément dix ans auparavant, l'indication "10 ans après la chute" peut donc tout aussi bien s'appliquer au seul personnage de Eric qu'au monde qui l'entoure.


Face à Pearce, la prestation de Robert Pattinson surprend à tout point de vue, l'ancien vampire "scintillant" trouvant ici le juste équilibre pour composer un personnage vulnérable et pathétique, tout aussi (voire plus) énigmatique que son terrible compagnon de route.


Et c'est bien la relation ambigüe unissant leurs deux personnages, ainsi que le mystère de leurs motivations respectives, qui fait finalement toute la force et la singularité de The Rover. D'autant que tout cela culmine dans un épilogue aussi simple que bouleversant, sublime point final d'une traque apocalyptique dont on n'a certainement pas fini d'admirer l'inquiétante beauté.

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le 9 juin 2015

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Buddy_Noone

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