(Critique rédigée pour commémorer le décès du cinéaste, survenue le 03 décembre 2023 dernier, à l'âge de 94 ans en raison de causes liées à la vieillesse).

BIO MEGA-COURTE DE LA RICHE CARRIERE DE KIM SOO-YONG

Kim Soo-yong est l’un des maîtres du cinéma coréen, bien que moins reconnu à l'échelle internationale qu’Im Kwon-taek, sans doute en raison de la diversité de son œuvre et du fait que ses films aient été relativement absents des sélections des festivals de films mondiaux au cours des trois dernières décennies.

Né en 1929, Kim Soo-yong entame des études en littérature avant de faire ses débuts dans le théâtre après la libération de l'occupation japonaise en 1945. Pendant la Guerre de Corée (1950/53), il exerce en tant qu'interprète, puis est affecté par le Ministère de la Défense à la réalisation de reportages, de courts-métrages documentaires et de propagande. Après avoir produit une trentaine de ces œuvres, il se lance en 1958 avec trois premières réalisations, A Henpecked Husband (1958), Three Brides et A Band for Proposal (tous deux en 1959) qu’il est contraint de tourner entre le samedi après-midi et le lundi matin, en étant toujours officiellement attaché au Ministère. Par la suite, il oriente son travail vers les comédies. En 1965, il connaît ses deux premiers grands succès publics avec le mélodrame Sorrow in Heaven (attirant plus de 150 000 spectateurs uniquement à Séoul) et Le Village au bord de la mer.

Comme de nombreux réalisateurs de sa génération, il peine à trouver sa place dans l'industrie cinématographique coréenne des années 1980 et 1990. Il totalise tout de même 109 longs-métrages de fiction entre 1958 et 2003, avec un pic de dix films réalisés en 1967, parmi lesquels certains de ses meilleurs. De 1998 à 2004, il assume la présidence du Comité de Censure, jouant un rôle crucial dans l'assouplissement progressif des restrictions jusqu'à leur abolition complète. Sa direction de l'institution a notamment facilité la sortie en salles de films considérés comme « sulfureux » selon les normes de l'époque, tels que Fantasmes (Jang Sun-woo, 1999) ou Trop jeunes pour mourir (Park Jin-pyo, 2002).

BIENVENUE AU VILLAGE (AU BORD DE LA MER)

À l'origine, ce film découle d'une décision politique : en 1965, le Ministère de l'Information décide de promouvoir la culture coréenne à l'échelle mondiale en encourageant la production de films susceptibles d'être sélectionnés dans des festivals de cinéma internationaux. Cette initiative s'inspire de la politique culturelle japonaise appelée « bungei eiga » (litt. : adaptations littéraires) lancée dans les années 1920. L'objectif était alors de transcender le cinéma, considéré comme un simple divertissement populaire, pour lui conférer le statut d'art. De cette décision ont émergé au Japon des classiques du cinéma mondial tels que Rashomon (Akira Kurosawa, 1950), L'Intendant Sansho (Kenji Mizoguchi, 1954) ou La Femme des Sables (Hiroshi Teshigahara, 1964).

Le Village au Bord de la Mer (1965) est le tout premier exemple issu de cette politique. Il est partagé en deux parties distinctes avec une première moitié entièrement focalisée sur une (vraie) communauté isolée de pêcheurs. De nombreuses scènes de folklore comme le quotidien des villageois, des scènes de pêche, danse et de chant (le chang) semblent propres à séduire à la fois les spectateurs nationaux et internationaux pour leur exotisme. La seconde partie opère une rupture brusque et nette du ton avec un revirement vers une dramaturgie fictive et mélodramatique.

La raison est simple : la nouvelle d'Oh Young-su était trop courte pour être adaptée en long-métrage. Ainsi, Kim Soo-yong et son fidèle scénariste, Shin Bong-seung, ont retenu uniquement les éléments essentiels de l'intrigue. Ils ont introduit le personnage crucial du jeune beau-frère dans la première partie et ont complètement imaginé la suite de l'histoire, qui, dans la version originale, se concluait avec le retour de Hae-sun au village après l'enrôlement de son (second) mari dans l'armée.

Ce changement de ton représente à la fois une « faiblesse » en créant l'impression d'un déséquilibre dans le long-métrage, mais également une force exceptionnelle en se tournant vers un aspect inattendu qui se démarque des productions généralement conventionnelles. Le Village au Bord de la Mer surprend également par sa mise en scène, empruntant timidement, dans sa première partie, au cinéma européen d'Antonioni et Louis Malle, des influences que Kim Soo-yong explorera et revendiquera clairement dans son futur Le Brouillard (1967).

La Nature occupe une place prépondérante dans le film, et contrairement aux productions urbaines habituelles (modernes) caractérisées par des sentiments refoulés, les vastes étendues de la mer et de la terre semblent offrir un libre cours aux désirs des hommes et des femmes. Le Village au Bord de la Mer est fondamentalement érotisant, avec de nombreuses insinuations claires. C'est un aspect assez surprenant dans le cinéma coréen de l'époque, soumis à une forte censure. Cela peut néanmoins s'expliquer par le fait que le roman de base avait déjà passé le comité de censure et que le Ministère était plus tolérant envers les « adaptations littéraires », dans une tentative affirmée de « séduire » les publics internationaux.

Il s'agit également d'un des premiers films de l'histoire du cinéma coréen à présenter le shamanisme non plus comme une source de mal à bannir, mais comme faisant partie intégrante de la « culture » et du quotidien du village. Le futur mouvement politique du Misin tapa, réprimant violemment les croyances religieuses folkloriques sous le régime de Park, va complètement éliminer ce type de représentations dans le cinéma coréen des années 1970.

A Sa sortie en Corée, le succès du Village au Bord de la Mer, attirant plus de 150 000 spectateurs, incite le Ministère à accorder aux adaptations littéraires les mêmes avantages que ceux accordés aux films éducatifs et anticommunistes, dont un soutien financier et la promesse de quotas d'importations supplémentaires de films étrangers en cas de succès. Cette mesure déclenche un véritable âge d'or pour les adaptations littéraires entre 1967 et 1968, avec la réalisation de 30 films en 1967, soit plus de trois fois le nombre de l'année précédente, parmi lesquels quatre autres adaptations de Kim Soo-yong) sur la seule année 1967, Fishing Boats are Full (aka Full Ship), Burning Mountain, Sound of Magpies et Le Brouillard.


(Texte reprenant certains éléments de mon ouvrage HALLYUWOOD - LE CINEMA COREEN).

Créée

le 7 déc. 2023

Critique lue 7 fois

Critique lue 7 fois

Du même critique

Decision to Leave
Bastian_Meiresonne
6

Beauté (plastique) fatale

Même si Park Chan-wook revient (un peu) aux bases de son cinéma, on le retrouve à son niveau habituel : la forme prime sur le fond, la machinerie est bien huilée, c’est beau, c’est inventif (dans sa...

le 26 mai 2022

29 j'aime

The Strangers
Bastian_Meiresonne
8

Cause à effets

SPOILER – LECTURE DU FILM ATTENTION – ne lisez SURTOUT pas cette « lecture » du film avant de l’avoir vu. Ceci est une interprétation toute personnelle – je n’impose aucune lecture à aucun film,...

le 2 juin 2016

19 j'aime

4

Ça tourne à Séoul ! Cobweb
Bastian_Meiresonne
9

Toile de Maître(s)

Ça tourne à Séoul, dixième long-métrage de Kim Jee-woon (J’ai rencontré le Diable) signe le retour du réalisateur à la comédie pour la première fois depuis les débuts de sa carrière. Cette satire sur...

le 27 oct. 2023

18 j'aime

8