« Le Carré est un sanctuaire. Un espace où les spectateurs sont amenés à devenir acteurs, et seront amenés à faire preuve d’altruisme. Le Carré est un sanctuaire de confiance et de bienveillance. En son sein, nous avons tous les mêmes droits, et les mêmes devoirs »
Le ? Carré est un sanctuaire
Le Carré ? est un sanctuaire
Le Carré est ? un sanctuaire
Le Carré est un ? sanctuaire
Le Carré est un sanctuaire ?
Dis comme ça, ça a l’air simple comme un truc d’[Art contemporain]. C’est très simple. Comme un carré. Christian est conservateur de musée d’[Art contemporain]. Assise devant lui, une journaliste lui pose une question sur l’exposition qu’il a lui-même organisé, et là, il [bug] comme un PC qu’on a oublié de mettre à jour. Une question simple, pourtant, et Christian est perdu. Comprend-t’il réellement quelque chose à l’Art contemporain ? C’est pas sûr. Christian est comme tout le monde. L’Art machin et tout ça, il n’y comprend rien, mais il fait son job. Ici, vendre du vent. Personne n’y comprend rien à ce truc d’[Art contemporain] de toute façon.
Östlund a beaucoup de talent, dont celui de perdre le spectateur dans un tourbillon, d’où il ne sait plus où il habite, et n’arrive plus à en sortir. Car Christian est sympa. Il a l’élégance d’un Cary Grant suédois. C’est une victime de la mode. Téléphone portable, mocassins avec chaussettes rouges, (beurk !). Tesla. Boutons de manchette dorés…tout le l’attirail du parvenu arrivé à quelque chose dans la vie. Mais ça, c’est une illusion. Il subit plus qu’il ne guide l’action, Christian. C’est un anti héros. Christian c’est nous. Christian c’est aussi une victime de Ruben Östlund, qui réussit l’exploit de faire tenir une installation d’[Art Contemporain] de 2h20 sans scénario aucun, ( !!!) Mais a-t’on besoin d’un scénario dans une installation d’[Art contemporain]? Pas sûr. On est à l’époque des synopsis, pas des scénario à rallonge.
Palmée et carrée. Cela fait longtemps qu’une palme d’or ne m’avait fait rire à ce point. Acide, cynique, drôle. Alors, l’égoïsme, le manque de compassion, (ou le besoin de compassion), l’incommunicabilité, ça nous concerne tous, et touche à l’essentiel. Tous rebondissent de par et d’autre du carré, sans jamais y arriver. Pas si facile, la bienveillance. Saleté d’individualisme, saleté de capitalisme triomphant, saleté de mondialisation, qui nous impose tous ses pauvres. Si on pouvait s’en débarrasser, (mais faut pas le dire). On ne peut pas. (S’en débarraser). Östlund met les pieds dans l’assiette, (carré). Pas de jaloux, Il se moque des bourgeois, comme des prolos, avec un bonheur communicatif. En ce sens, il applique à la lettre le postulat de base. Vous vous souvenez ? Mais si…
Le Carré est un sanctuaire.
Un espace où les spectateurs…
…Où tout le monde sera traité pareil. Christian étant acteur principal, donc au centre du carré, c’est normal qu’il en prenne plus que les autres. Il est agaçant. Il ne fait même pas exprès. Il est con. On a par moments envie de lui mettre la tête au carré. Mais on ne peut pas. Christian, c’est nous. Monsieur tout le monde. Responsable de rien, dès qu’on ne touche pas à son petit confort. Le reste… Östlund c’est Haneke qui a le sens de l’humour. Ça manquait. Vision peu flatteuse de notre société, dominée par l’hypocrisie, le statut social, la course autour du même carré, sans jamais y arriver. Á entrer dans le carré. Le carré grinçant.
L’incident du portable volé, c’est une diversion. L’épisode du portable allume la mèche, mais la chute de l’antihéros avait commencée bien avant le début du film. Le gag du téléphone volé servira à le faire plonger un peu plus. Il partira à la recherche de son portable adoré, (et de ses boutons de manchette dorées), en entrainant un stagiaire dans l’aventure, au volant de sa Tesla, tout en écoutant le groupe Justice, (cherchez l’erreur). Satire généralisée, absurde, cynique, à l’italienne. Humour oui, mais congelé par moins 20 degrés Celsius, à la suédoise.
Les absurdités s’accumulent, comme dans une « série », ou un multiple. De manière implacable. Alors certains reprochent au film un manque de fond (???) Euh…Le fond c’est quoi ça ? Depuis quand une installation d’Art contemporain a du fond ? Plus sérieusement, il y a une telle maîtrise esthétique que ça fait du fond tout seul.
Un plaidoyer pour le carré à toutes les sauces, jusqu’à ne plus voir le carré. Illusionnisme, raffinement (tout nordique), sobriété, et précision extrême des plans. Merde ! Ce mec a du talent, quand même. La longueur des scènes, fait exprès pour accentuer le malaise. La critique de la censure dans le monde de l’art. (Un comble quand même !) Le temple de la liberté absolue, qui se révèle aussi vain, et serré dans les conventions que tout le reste. Le tissu social hypocrite au plus au point. Le milieu de l’Art ridicule comme le reste, ridiculisé. Qui a dit qu’il n’y avait pas de fond ?
Le fond s’écrase comme une crêpe dan le carré. Et ça ne fait même pas un grand bruit. Juste un petit : Pschiit ! On est tous un peu lâche, hypocrite, comme ce Christian. On va tout faire pour sauver les apparences. Normal. On le découvre père. Divorcé peut-être ? Östlund ne nous dit pas tout. Et voilà qu’apparaît un petit miracle. Un petit garçon qui demande justice, lui aussi. Il veut des excuses.
Il poursuit Christian. Mais pourquoi ?
Parce que dans sa chasse idiote au voleur de portable, il l’a accusé à tort ; et ses parents convaincus de sa culpabilité l’ont punis. Plus de sortie, plus de copains, plus de football, rien. Ce petit garçon est lui pleinement dans le Carré. Vous vous rappelez ? Non? Mais si :
Le carré est un sanctuaire…
…amenés à faire preuve d’altruisme.
Bla bla bla…
Le carré c’est l’utopie fondatrice. C’est drôle, de pas y arriver. Á entrer, dedans, le carré. Ce petit garçon est de complète Utopie, le pauvre. Il demande Justice.
Scène absurde. Petit acte (portable volé), grands effets (acte odieux). No spoiler. Et peu à peu sa conscience le rattrape, Christian. Comme si on faisait un clin d’œil à Dostoïevski. Pas méchant, ce Christian, mais un peu stupide, quand même. On a vraiment envie de lui mettre sa sale tête de con au carré de l’hypoténuse. Superbe performance d’acteur. Excellent, Claes Bang.
Et la fin…complexe, comme le film. Ça ne servirait à rien de lui mettre la tête au carré. Même ses filles ont compris ça. Pas besoin de grands discours. Un silence. Un cadrage bien serré. Et on a tout compris. Le monde est trop compliqué, et corrompu pour que ça fonctionne cette foutu histoire de carré. Il y aura toujours une variable X, un chromosome Y, ou un singe Z qui va entrer et mettre le boxon. Un peu misanthrope ce Ruben Östlund, non ?
Soit dit en passant.
1 : Le petit garçon et l’homme-singe, (Terry Notary), sont la même personne, (symbolique), qui réclame le droit à la justice, et à la différence. Ils ont raison.
2 : La scène de la performance simiesque dans le salon de thé petit bourgeois est déjà Culte. Normal. C’est un moment de grâce absolue, et c’est puissant comme deux fois deux films de Lars Von Trier réunis. Je dis ça, mais je dis rien.