« Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Je n’avais pas l’intention d’écrire sur ce film mais cela s’est imposé à moi après la lecture de plusieurs critiques.
Tout d’abord, tous ceux qui demandent à un film un divertissement qui les transporte grâce à une action trépidante peuvent passer leur chemin.
Third murder développe avec austérité une réflexion sur la Vérité, la culpabilité, le droit de vie et de mort, le Bien, toutes notions dont la place peut surprendre au cinéma et qui échappent à une bonne partie de nos contemporains (attention, cela ne signifie pas que « c’était mieux avant », seulement, avant, on n’avait pas sciemment sapé pour le plus grand nombre, pour nos jeunes , toute possibilité d’accéder à une réflexion morale, puisqu'ils sont nourris exclusivement aux faux débats d’une instruction « civique et…"citoyenne »…)
Alors, bien sûr, le film n’est pas exempt de quelques facilités comme l’utilisation d’un pathos assez lourd avec le personnage de la petite fille handicapée.
Mais il met en scène avec justesse et toute la lenteur nécessaire une réflexion éthique. Sa force est de susciter la réflexion tout en se gardant bien de donner des réponses.
Peut-on accéder à la vérité des âmes ? Et si non, comme le suggèrent ces nombreuses scènes où l’avocat parle à l’accusé séparé par une vitre, comment croire en la justice, surtout quand celle-ci peut décider de la mort d’un homme ? Comment accepter la peine de mort comme une solution en connaissant notre ignorance – et même pire, parfois, notre ignominie ( à un moment une juge et un avocat reculent devant un nouveau procès qui pourrait innocenter l’accusé, le jugeant très onéreux ).
La société nippone n’a pas suivi le même chemin que la société française dont les racines chrétiennes ont irrémédiablement conduit à l’abolition de la peine de mort, « parce qu'aucun homme n'est totalement responsable, parce qu'aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable. Pour ceux d'entre nous qui croient en Dieu, lui seul a le pouvoir de choisir l'heure de notre mort » ( Discours de Badinter devant l’Assemblée en 81 pour l’abolition de la peine de mort).
La notion de Pardon, en particulier, centrale dans le christianisme, n’existe pas au Japon.
Ainsi, le film pose la question de la légitimité du crime « nécessaire ».
Un homme qui commet le pire des crimes mérite t’il la mort ?
En créant le personnage ambigu du condamné joué magistralement par Koji Yakusho, le doute s’insinue, troublant les certitudes morales. Koji Yakusho va même jusqu’à utiliser un soupçon de fantastique pour mettre en scène la conscience du mal (je ne peux en dire plus sans divulgâcher…)
Cette situation m’a replongé dans le dilemme du pasteur Bonhoefer décidant de participer à un attentat qui se voulait meurtrier contre Hitler.
Sans notion de sacrifice christique, le film montre comment la société condamne peut-être celui qui portait le plus grand Bien, celui qui se sacrifie peut-être pour essayer de sauver ce qui reste à sauver, s’il y a quelque chose à sauver (pour moi, l’un des moments les plus forts du film est quand la petite fille handicapée remercie son bourreau, la victime devenant elle-même responsable d’une mort à venir, celle de l’ homme qui aurait voulu la protéger).
A voir, donc, pour la dimension éthique assez intelligente pour ne pas apporter de réponses toutes faites dans un contexte non judéo-chrétien.

jaklin
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le 11 avr. 2022

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