Night Shyamalan se met au found-footage horrifique, l'année où sort Paranormal Activity 5 (quatrième suite d'un des attrape-gogos les plus performants de ces dernières années). Shyamalan semble en effet souvent céder aux modes, puis le résultat le dément catégoriquement ; il dément même les genres d'apparence (Le Village). The Visit arrive après une période présumés blockbusters SF ou fantastiques (After Earth, Phénomènes) ressemblant finalement plus à des drames hermétiques, objets de grands malentendus – et parfois d'enthousiasmes déroutants. Shyamalan prend ses distances, se dégage des pressions passées ('petit' budget avec une seule 'grosse' actrice : Kathryn Hahn), s'ouvre à la légèreté et l'ironie. The Visit est la décompression d'un cheval de course hollywoodien, qui n'avait demandé ni ce statut ni les carcans assortis.


Le mariage entre humour, horreur et journal de bord ado est pour le moins décontracté, chaque portion débordant peu de son pré-carré. La mise en scène est en rupture avec le bordel clinquant des found footage habituels. À la caméra tremblotante Shyamalan préfère les angles gentiment décalés ; au cachet amateur bien sale, une photo impeccable. En revanche, on se sent plus proche de ces images, on croit plus facilement sinon à leur spontanéité, à leur temporalité 'immanente' comme celle d'une vidéo sur internet. C'est un film mais appliqué à sembler étranger au cinéma, à ses constructions et ses garanties (donc engendrant la perplexité avant tout), sans que ce soit auto-indulgent (dégueulasse et/ou irréfléchi) pour l'occasion. Le principe du found footage en sort valorisé.


Le récit est plein de petites surprises ludiques, les éléments rebattus (comme les jump scare) sont rehaussés par le style et surtout par le personnage de Mamie Doris (Deanna Dunagan). 'L'état crépusculaire' (« sundowning », titre initial) dont serait atteinte mère-grand inspire de belles performances dans le genre grotesque. Shyamalan invente une gaudriole mélo, avec ados sereins et démons dans le corps de vieux totalement finis. Ça ressemble un peu à une ré-actualisation de l'horreur puérile et semi-surréaliste comme on en trouvait dans le bis vers 1990, en plus nonchalant ; d'ailleurs l'anecdote du four renvoie directement à Darkside (adaptation de série à l'esprit 'comics'). C'est 'le sinistre l'air de rien', avec une sorcière et un psycho incontinent pris au sérieux en plein jour.


Malheureusement l'intérêt tient plus à la forme ; le scénario est branlant, les urgences n'en sont jamais. Globalement c'est du sous-mindfuck. La légèreté insolente l'emporte ; le rap du gamin comme cadeau du générique de fin le signe. L'ultime confession de maman a peut-être vocation à simuler le souci pour une 'demande' de spectateur consciencieux quoique complètement con ; mais la seule chose qui en sorte sûrement rabaissée est la posture générale. Dans l'ensemble The Visit est un catalogue un peu pittoresque, sans plus : un catalogue de bonnes images avec des collages propres et insipides autour. Plus ou moins yolo ou rigolos, du moins c'est leur intention. D'un côté, Shyamalan affirme son indépendance (pour ce tournage, il s'est écarté des studios conventionnels et est venu en Pennsylvanie, comme à ses débuts) ; en même temps, tout ça reste oiseux, (délibérément) sans vraie tension, juste une curiosité claquant du génie pour le fun et des séquences triviales en pure perte.


https://zogarok.wordpress.com/2015/12/19/the-visit-shyamalan-2015/

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le 18 déc. 2015

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