Nous sommes au début de la décennie écoulée. Etant encore adolescent, j'assiste à une soirée spéciale films "de genre" un peu ennuyeuse, quand soudain, dans la pénombre, se déroule devant mes yeux un film qui ne cesse de me hanter depuis : The Wicker Man.


Dès les premières minutes, on est fasciné. La musique y est pour beaucoup, de la folk des années 70, qui accompagne l'arrivée sur une île au large de l'Ecosse d'un policier venant enquêter sur une mystérieuse disparition...


Un point de départ intriguant, usant d'un principe de fiction - un étranger arrivant dans une communauté étrange et hostile - commun à de nombreuses œuvres, que ce soit dans l'imaginaire d'un Kafka (Le château) ou dans des films de genre français méconnus (Le démon dans l'île de Francis Leroi, 1983). La principale originalité du film, et ce qui m'a personnellement le plus fasciné en réalité, c'est son ambiance si singulière, cette lumière du jour omniprésente, qui inonde tous les plans et se place en contradiction avec les événements, sordides, inquiétants, qui nous sont montrés. L'horreur, ici, va crescendo, jusqu'à une scène finale que je vous laisserai découvrir si vous ne l'avez jamais regardé. Cette esthétique si marquante, si forte, si étrange, elle a été brillamment reprise en 2019 par Ari Aster dans son excellent Midsommar, et si vous avez aimé ce film, vous aimerez sans doute The Wicker Man.


Mais je n'ai pas encore évoqué l'autre élément du film qui en fait toute sa saveur, qui participe de son étrangeté, à savoir la performance de Sir Chritopher Lee, lui qui a dès le départ défendu ce film qui fut, comme beaucoup d’œuvres cultes - n'est-ce pas d'ailleurs leur définition ? - un échec à sa sortie. The Wicker Man n'a été que peu cité à la mort, il y a une poignée d'années, de l'acteur Britannique. C'est pourtant une oeuvre-phare du cinéma fantastique européen et mondial et je me dois de citer également le scénariste Anthony Schaffer.


Mais revenons à l'ouverture du film...


Dès l’instant où il pose le pied sur cette petite île au large de l’Ecosse, Neil Howie, sans le savoir, est pris dans le piège, dans une machinerie infernale et pour le moins Kafkaïenne. Tout commençait pourtant si bien pour Neil Howie, ce sergent Ecossais, fervent Catholique un brin naïf au service de la justice et du bien.


Cette musique folk typiquement britannique, que j'évoquais, rappelle un peu l’esprit libre de la décennie précédente, les années 1960 et leurs utopies peu à peu balayées, en même temps qu’un lointain passé, des racines et des traditions profondément ancrées dans ces paysages d’îles Ecossaises intemporels. Et puis l’on pose enfin les pieds sur l’île fictive de Summerisle en même temps que Neil.


Les habitants, on le découvre bien vite, sont des gens aux mœurs bien étranges, mais qui apparaissent d’abord plus comme de sympathiques fous échappés d’une bande-dessinée de Tintin que de d’effroyables pervers dangereux. Coupés du monde, on découvre progressivement que la religion de cette petite communauté est une religion païenne. Le choc, surtout pour les bonnes mœurs que prétend défendre le policier, qui peine à mener son enquête sur la disparition de cette fille dont personne ne semble se soucier.


Christopher Lee ne fait son apparition - magistrale - qu'au milieu du film, lorsque le policier vient lui demander une autorisation pour exhumer ce qu'il pense être le corps de la jeune fille. Dans cette séquence, il se débarrasse pour la première fois son costume de Dracula ou de toute autre créature fantastique monstrueuse, repoussante, pour endosser le rôle du chef, très charismatique, de la petite communauté, se plaisant à casser son image à chaque plan.


Dans cette séquence, on sent particulièrement que deux mondes séparent les deux personnages, et la discussion tourne autour de la religion, puis de Dieu lui-même... "Un fantôme" pour le Lord. Dieu est mort... Le film se fait de plus en plus effrayant, sans abandonner son aspect ensoleillé, un soleil et une lumière de printemps pourtant bien pâle. Car en réalité, le tournage s’est déroulé en hiver, ce qui donne à l’image cet aspect ambivalent, froide, et qui contraste avec les costumes et les masques aux couleurs criardes.


Des costumes et des masques qui trouvent toute leur place à la fin du film, où l'on assiste alors à l'une des scènes les plus effrayantes de l’histoire du cinéma, justement parce qu’elle ne cherche pas directement à montrer l’horreur telle qu’on la conçoit d’ordinaire : du sang, des corps en putréfaction, la nuit, un vieux manoir hanté… Rien de tout ça ici, l’horreur naît simplement dans l’esprit du spectateur du fait de ce qui est sous-entendu et du suspense qui règne : le personnage principal est en effet caché au milieu de cette procession païenne dans un costume de polichinelle, ce clown de carnaval, aux côtés d’un Christopher Lee en pleine transe, cassant de plus belle son image de prince des ténèbres, mais ce qu’il ne sait pas, c’est que tout le monde sait qu’il est caché sous ce costume et qu’il marche droit vers la mort…


Effectivement, tout comme Christopher Lee s’amuse à casser son image dans ce film, le réalisateur et son scénariste, Robin Hardy et Anthony Schaffer, vont chercher à se débarrasser des tics propres à ce qu’on appelle film d’horreur, dénomination à laquelle Christopher Lee préfère l’expression française de film fantastique, comme il le dit notamment dans un entretien avec John Landis dans son livre Créatures fantastiques et monstres au cinéma (2012).


«J’ai fait des films avec Boris Karloff, qui, comme moi, s’était fait un nom en interprétant un monstre. (…) Ce que lui et moi devions faire, c’était rendre l’incroyable crédible. (…) Je n’aime pas le mot « horreur » parce qu’il évoque quelque chose de méchant, d’effrayant, d’épouvantable, de mauvais et de vil. (…) Je n’ai jamais considéré mes films comme des films d’horreur. J’ai toujours essayé de donner l’impression que mes personnages ne pouvaient pas s’empêcher de faire ce qu’ils faisaient. Et Boris faisait la même chose. » — Christopher Lee


Au cœur du film se trouve, au fond, le thème du fanatisme religieux, un sujet particulièrement bien traité car ne prenant pas parti pour l'un ou l'autre des camps, non, ici, tout le monde est fou, et le final l'est lui aussi, un final fort impressionnant et en même temps extatique. Je vous conseille ce film unique à bien des égards, à ne pas confondre avec son remake pas terrible des années 2000 avec Nicolas Cage.


Vous y verrez des choses que vous n’avez jamais vues ailleurs au cinéma ainsi que la preuve, s’il fallait vraiment en donner une, de l’étendue du talent de Sir Christopher Lee.

Thomas_Aunay
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le 24 janv. 2020

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