The Witch est ni plus ni moins que mon chouchou sur l'édition 2016 du Festival de Gérardmer. Doté d'une photographie classique mais somptueuse, d'une ambiance exceptionnelle et surtout d'une scénarisation en béton armé, on avance dans le film comme on se jette sur un trop bon dessert: avec l'oeil pétillant et un zeste de remords quand on pense à la balance. (connasse)


Dès le départ et en revanche, cher lecteur; le ton est donné: si tu veux de l'action, que tu t'attends à voir un Reboot du Projet Blair Witch avec pleins de boobs, d'étudiantes bourrées et de dialogues débiles et/ou décousus, que tu mattais le décolleté de ta voisine quand on parlait du Mayflower et des premiers colons Américains, ça risque d'être compliqué.
Mais accroche toi car tout n'est pas perdu !
Si par contre tu as du mal à te concentrer pour suivre plus de dix minutes de dialogues un tant soit peu fournis et que tu es allergique à la vieille langue anglaise... Disons que tu auras intérêt à noter que la sortie est au fond à droite.
Car il faut bien qu'on soit d'accord, le film s'adresse avant tout à un public de niche, entre amateurs de cinéma de genre et autres amateurs de scénarios cossus, mais également à ceux possédant un minium de culture religieuse et historique.
The Witch est d'abord une critique assez virulente de l'intégrisme religieux, et plus particulièrement de Puritanisme importé par les premiers colons Néerlandais et Anglais lors de leur arrivée au début du XVIIème siècle sur ce qui deviendra les États-Unis.
Le début du film est d'ailleurs introduit de cette manière, avec le départ de la famille de William et Catherine suite à un différent sur la pratique religieuse. Il reigne un certain flou sur l'extrémisme des uns et des autres, mais on suppose que William est encore plus Royaliste que le Roi, ce qui laisse rêveur.
Banni de cette communauté déjà très intégriste à la base, cette famille va donc s'établir à la limite d'une forêt, laissant libre court à la créativité religieuse du Père et aux futures névroses de la famille.


Dès lors apparaissent les premières nuances du scénario et les premiers éléments de Ciné de Genre.
Car tout ne se résume pas à l'extrémisme religieux, bien au contraire. Robert Eggers a l'intelligence (et sans doute que l'habitude de monter des pièces de théâtre doit jouer aussi) d'inscrire dans la construction des personnages des zones d'ombres soulignées par autant d'ellipses que de non-dits, et surtout par une photographie époustouflante.
Chaque hésitation, chaque regard, chaque dialogue est souligné avec la force d'un coup d'oeil de Maître, conférant une profondeur cinématographique assez rare, presque onirique.
La B.O. toujours très discrète contribue également à resserrer les liens de la drôle de chemise blanche avec les lacets dans le dos. On s'attend presque à voir arriver les ambulanciers avec leurs sourires et la petites piqûre qui va t'aider à dormir.
T'énerve pas, on te dit.
Le mélange de l'excellente scénarisation se mêle donc assez naturellement à l'aspect strictement visuel pour donner une grande homogénéité au film.


Du coup un malaise profond et poisseux s'installe rapidement dans le développement de l'intrigue, renforcé par le cloisonnement religieux en toile de fond.


On voit se disloquer la famille avec une certaine jubilation, ce qui est assez atroce à dire, mais relativement honnête dans la mesure où Eggers brouille souvent les pistes concernant la possession ou la pactisation avec le diable des personnages, de moins en moins hypothétique à mesure qu'on se rapproche de la fin du film.

Par ailleurs les personnages sont tous intéressants dans la mesure où leur construction suit un schéma de construction / démolition implacable, y compris pour les plus jeunes; ce qui est loin d'être une généralisation dans les conventions cinématographiques.



ATTENTION: ZONE DE SPOIL
Les dernières minutes du film sont pour moi assez réussies.
On assiste en effet à une fin de film assez convenue avec le passage du Sabbat, qui prend le pari artistique de ne pas laisser le spectateur avec ses spéculations; mais qui va plutôt jusqu'au bout de la réflexion en s'apparentant là encore à une fin théâtrale dans tous les sens du terme.
Par ailleurs et même si j'aurai préféré que le film s'arrête au moment où le diable guide la main de la jeune fille, j'ai adoré ces quelques minutes précédent le Sabbat pour leurs portées symboliques et pour leur revirement.
La jeune fille se libère de son carcan familial / religieux en ôtant son corset, puis interpelle le Diable sous sa forme de bouc pour savoir ce qu'il lui veut.
Le film étant essentiellement basé sur des ambiances et des faux-semblants, je ne m'attendais pas à une réponse, qui arrive pourtant lors d'une scène aussi glaçante que somptueuse.
La jeune fille cède donc logiquement à la facilité en s'offrant une autre vie, tout aussi aliénante et sous un joug de servitude encore plus pernicieux, ce que sa jeunesse ne lui permet pas de savoir.
Cette partie à une dimension symbolique également, dans la mesure où elle souligne assez bien le fait que rejeter un fait ou une situation ne veut pas dire réagir à la va-vite dans la seconde qui suit.
Un phénomène très contemporain quand on voit le flot de haine inonder par exemple les les réseaux sociaux au moindre pet de travers des peoples ou des bloggers.

C'est donc toute la beauté et la complexité humaine que j'ai retrouvé dans ces dernières minutes, aussi convenues et déjà vues soient-elles.



On n'évite pas non plus les sujets qui fâchent, avec les premiers émois de l'adolescence ou les regards qu'on devine incestueux. (Une touche supplémentaire au malaise)
On peut donc dire qu'Eggers disperse les graines de l'inconfort avec la constance d'une mécanique Allemande et un sens aigüe de l'à-propos.
J'ai vraiment adoré sa mise en scène.


Je terminerai avec un mot sur la distribution: elle est excellente d'un bout à l'autre.
Les acteurs crèvent l'écran.


Voilà ce que je peux dire de cet excellent "The Witch". Allez le voir.
Même si les scènes avec la Sorcière sont dispensables à l'exception de celle où elle amadoue le jeune Caleb; le film n'en demeure pas moins brillant dans son traitement et sa solide mise à l'écran.
On vous invite à vous poser, à recentrer le dialogue sur la religion et le repli sur soi.
On vous invite à sortir des productions posées sur des rails.
On vous invite à vous immerger.
Mais on vous invite surtout à aimer LE Cinéma. Celui avec un grand "C".

amjj88
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le 1 févr. 2016

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amjj88

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