Théorème est un objet ambigu. Un jeune homme, très beau, apparait (littéralement) dans une famille bourgeoise de Milan, vivant d’ordinaire une vie rangé, voire morne (comme nous le montre la scène d’introduction teintée de sépia). Ce jeune homme va rencontrer tout les membres de la famille (la bonne, la fille, le fils, la mère et le père) et ce contact va se réaliser par ce qui semble être un simulacre d’acte sexuel (sauf pour le père, qui lui passera par la maladie et la guérison miraculeuse). Un simulacre, car l’acte sexuel (ou la guérison) est utilisé comme étant le lieu où l’on rencontre l’Autre, et non pour sa dimension physique. Quel Autre ? Ce qui n’est pas bourgeois, celui qui n’a pas d’identité fixe.
En effet, chaque membre de la famille, après l’expérience de cet autre qu’est le jeune homme se rendra compte que ce qu’il croyait être (être défini par la structure familiale et sociale) ne suffis plus a embrasser ce qu’il peut devenir. Le contact avec ce jeune homme ne révèle pas leur "véritable" nature, mais leur fais prendre conscience de leur multiplicité. Pour ce film, être bourgeois c’est avant tout croire a l’immuabilité de ce que l’on croit être.
La seconde partie du film décrit comment chaque membre de la famille vit cet effondrement. Pasolini, dans le film et dans le livre qui l’accompagne, a une préférence pour la bonne. C’est une croyante, sincère dans sa foi. Ainsi Pasolini fera d’elle une sainte, réalisant des miracles dans la plus grande simplicité et s’enterrant dans un chantier, juste au dessus d’une faucille et d’un marteau, nous expliquant que ses larmes "ne sont pas des larmes de douleur. Elles formeront une source qui ne sera pas une source de douleur". Il y a bien évidemment de la part de Pasolini une opposition entre la foi simple, terreau d’un idéal de justice et celle hypocrite, de l’Église (en tant qu’institution) et si cela arrive à la bonne, c’est pour son côté humble, faisant parti des plus démunis. Pour les autres membres, cela sera autrement plus violent : paralysie pour la fille, impuissance a créer pour le fils, frénésie sexuelle pour la mère et le père finira dans un désert (littéralement).
Quand j’ai vu la première fois Théorème (sans avoir lu le livre), je n’ai pas voulu condamner les personnages. Je les voyais pris dans leur devenir, et ce jusqu'à ce processus trop grand pour eux les submergent. La rencontre avec le jeune homme est sûrement un jugement, une épreuve du modèle bourgeois, mais ce jugement ne produit pas une sanction. Ou plutôt il condamne à une expérience hors de la vie bourgeoise, il condamne à une liberté trop puissante à part pour celui qui saura en faire quelque chose.