Marvel et cinéma d’auteur. Deux concepts que beaucoup de cinéphiles se hâteront de juger totalement antinomiques et incompatibles pour rester legit.
Avec ses 3 films par an, les milliards de dollars de recette qui s’accumulent à n’en plus finir comme dans le coffre de l’oncle picsou, la batterie marketing parfois un peu lourdingue qui va avec, Marvel (et plus généralement Disney) est devenu le symbole de tous les maux qui rongent Hollywood : production de films à la chaine, standardisation de la création, recherche de rentabilité immédiate au mépris de l’expression artistique et de la substance thématique.


Peu importe les réals engagés pour chaque films, ils seraient de toute façon complétement écrasés par la machine jusqu’à rendre leur personnalité imperceptible dans le produit final.
Mais voilà moi, je n’arrive absolument pas à adhérer à ce qui fait pourtant globalement figure de consensus. Si on daigne sortir un peu de cette posture contestataire monolithique sans réelle nuance, tout cela s’écroule assez rapidement à mon sens. Je dirai même que peut-être plus que dans aucun autre gros studio à blockbuster, il existe un espace d’expression propice aux auteurs chez Marvel. Shane Black, James Gunn, Ryan Coogler, Joss Whedon pour citer les exemples les plus éloquents. On peut ne pas apprécier le style de ces mecs mais leurs films portent vraiment très clairement leur signature si on décide de faire l'effort de les replacer dans le reste de leur filmographie.


En plus de tous ces exemples, celui de Taika Waititi est peut-être le plus frappant. Même parmi les amateurs de Thor Ragnarok, très peu il me semble sont allés jusqu’à reconnaitre la pertinence du film au sein du reste de l’œuvre de son auteur. Plus encore que pour les autres Marvel, La dimension comique, ici exacerbée, a cristallisé tous les débats. Il y’a ceux qui apprécient le fun factor de la chose, ceux qui trouvent que le fameux "humour Marvel" est l’arbre qui cache une forêt de vacuité thématique et cinématographique, mais le grand absent de ces débats reste Taika Waititi. C’est pourtant un authentique réalisateur de comédies, l’humour y est donc essentiel dans son œuvre (A Boy, What we do in the shadows, Hunt for the Wilder people) et un humour franchement particulier qui plus est. Personnages très flegmatiques, déconstruction du genre abordé comme ressort de comique absurde, goût prononcé de la satire : Waititi a une approche de la comédie, sensible et intelligente, ultra identifiable et dans laquelle Thor Ragnarok s’inscrit à 100%. L’humour n’y est pas le symptôme de l’uniformisation du style Marvel mais au contraire la marque d’une vraie démarche d’auteur.


Le choix du film de s’ancrer dans la comédie a également pas mal occulté un autre aspect fondamental du film : sa dimension thématique là encore très personnelle vis-à-vis de son réalisateur. Black Panther a été le premier film Marvel unanimement salué pour son fond et la capacité d’un réalisateur à imprégner son film d’une dimension socio-politique inhérent à son identité d’homme non-blanc.
Et pourtant Thor Ragnarok, sorti juste avant, aurait également mérité ce traitement puisque Taika Waititi a largement prolongé ses thématiques de prédilection liés à la condition des minorités maori (dont il est issu) en Nouvelle Zélande et l’héritage colonial du pays. Car oui, si le film est en effet assez peu avare en gaudriole, il renferme également une dimension satirique assez féroce dans la dépiction d’Asgard. Derrière ce monde représenté comme assez fastueux et onirique dans les deux précédents opus, se cache une vérité nettement plus sinistre. Asgard y a beau jeu de jouer le rôle de royaume dominant garant de la paix et de la stabilité dans les huit autres sous sa tutelle puisque ce statut, ainsi que sa prospérité, se révèlent être le fruit d’une campagne de conquête militaire a priori plutôt sanglante dissimulée derrière une histoire méticuleusement réécrite…
Hela la méchante du film n’est que l’inéluctable résurgence de toute la violence sur laquelle a été fondée la « nation » Asgard pour ensuite être camouflée derrière des récits héroïques et pacifistes mensongers. Toute ressemblance avec l’histoire de nombreux peuples liés au Commonwealth dont, tiens donc, celui des maori est évidement purement fortuite puisque les auteurs n’ont pas voix au chapitre chez Marvel.
La seule rédemption possible pour Asgard ne pourra finalement passer à la fin du film par l’abandon et la destruction de sa dimension matérielle, constituée de richesses illégitimes, et la découverte d’un nouveau statut de réfugiés similaire à celui de peuples face auxquels ils ont choisi de fermer les yeux.
Le personnage du Grandmaster (pas si éloigné que ça d’Odin du coup) plus gêné par l’emploi du mot esclave que par l’emploi de véritables esclaves à son service témoigne de toute l’ironie dont s’amuse à faire preuve Waititi vis-à-vis des oppresseurs qui persistent à s’ignorer à grand renfort de mauvaise foi.


Pour toutes ces raisons, impossible de voir dans ce film celui d’un simple real fantoche à la solde de Marvel et pourtant le film reste profondément "marvellien". Des autoréférences et private jokes à la direction artistique de Sakaar très "Jack Kirby" dans l’esprit, en passant par l’inscription assumée du film dans l’arc narratif global du Marvel Cinematic Universe, aucun doute là-dessus, c'est du pur Marvel. Paradoxal ? Même pas. Pourquoi vouloir finalement à tout prix opposer deux visions du cinéma (franchise hollywoodienne et cinéma d’auteur) qui ne sont pas fondamentalement incompatibles ? Je ne dis pas que les majors sont des mécènes qui font ce qu’elles font par amour de l’art et je suis conscient que des films comme Thor Ragnarok ne sont pas la norme mais peut-être pourrait-on quand même commencer à aborder certains blockbusters sans condescendance, comme on pourrait le faire pour un "vrai" film d’auteur, et ce même s’ils ne sont pas réalisés par Spielberg.

StevenSingalls
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le 25 avr. 2018

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