La poésie face à l'absurde et la bêtise humaine

"Timbuktu" restera comme le "premier vrai" film de l'histoire contemporaine à traiter du "monstre" fasciste qu'est le radicalisme islamiste extrémiste. Rien que pour cela Sissako mérite tout notre respect.
Toutefois, le réalisateur prend le parti de ne pas "jouer" le jeu de la violence spectaculaire. Il joue la carte de la poésie et de la beauté en réponse à la bêtise humaine des jihadistes. C'est aussi parce que le film est traité sous la forme du conte, qu'il tire sa force évocatrice et que la dénonciation touche autant. Mais c'est aussi sa faille et sa limite. J'ai l'impression d'une évocation hors du temps (est-ce dû à mon regard d'européen?), pas assez ancré dans la réalité et le présent.
Vu l'accueil plutôt frileux réservé au film sur le continent Africain, entre autres pour des raisons liées au contexte politico-religieux et socio-économique franchement explosif dans nombres d'états, ne doit-on pas aussi se demander si les spectateurs, là-bas, auraient voulu un autre traitement du sujet, plus réel, plus "politique", n'esquivant pas les raisons sous-jacentes d'un telle déchaînement de violences au nom d'un dogme religieux ?
Le film est-il fait pour nous, occidentaux ?
Ces questions posées, il n'en reste pas moins, que "Timbuktu" est un film essentiel et nécessaire en ces temps troublés. Le parti pris de la fable poétique est aussi un contre-pied face à la violence des jihadistes. Il a aussi des vertus pédagogiques pour les publics "moins avertis". L'histoire contée doit délivrer un message universel ou œcuménique qui touche tout le monde. Quitte à jouer avec l'imagerie traditionnelle (un peu cliché) que l'on se fait des peuples du désert et une symbolique simple mais d'une réelle grâce.
Le point de vue le plus intéressant du film, c'est surtout la façon dont Sissako décrit les jihadistes. Il les tourne littéralement en ridicule, ce qui vaut des scènes grinçantes et réjouissantes (discussion sur Zidane et Messi, les conversation en arabe convertis en anglais par manque de pratique, les leçons de conduite du 4x4, la cigarette fumée en cachette, le film de propagande...) ce qui nous révolte d'autant plus, que l'on se dit que plus la bêtise les habitent, plus la violence et l'intolérance sont leur moteur: ce n'est pas tant un dogme religieux qu'ils imposent, c'est avant tout leur goût de la puissance et du pouvoir...
A cet égard, les scènes avec l'Imam de la Mosquée de Tombouctou, montre qu'ils ne sont pas à même de se targuer d'être les "uniques" détenteurs et dépositaires du Prophète... Ces 3 scènes valent toutes les dénonciations du monde.
Puis quelques éclairs, de violences brutes, qui vous scotchent sur votre fauteuil dès la séquence d'ouverture. Pas de surenchères. Juste la beauté et la poésie des séquences qui s'écrase sur une ou plusieurs images de violences primaires et réactionnaires (la gazelle, la séquence du chant, le ballon...).
Un moment particulier, magnifique; car la scène résume à elle seule le basculement dans l'absurde: sans ballons, interdits, la caméra suit les enfants qui recréent une partie de football...
Quant à l'histoire de Kidane (Ibrahim Ahmed, juste et émouvant), au final, même si elle sert de fil rouge, et qu'elle nous émeut, parce que nous nous sommes attaché à ce dernier, elle paraît quasi superflue, là pour "remplir" le film; lui donner de la consistance. Un peu ce qu'à fait comprendre Sissako lorsqu'il a reçu avec sa femme, Kessen Tall, le César du meilleur Scénario Original (un des 7 Césars reçus). Il est certain que sans ce fil rouge, il ne reste que des scènes ou des sketchs sans liens, même s'ils sont tous d'une force inouïe.
Un film faillible, mais fort et essentiel.

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le 13 mars 2015

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