Jean-Pierre Limosin trouve un point commun entre jeux vidéo, musique techno, cinéma japonais et Takeshi Kitano dans un film étonnant par son punch et sa bizarrerie.

Au sortir de « Tokyo Eyes », on se retrouve complètement déboussolé. On vient d'assister à un spectacle d'une originalité totale. Jean-Pierre Limosin, en grand admirateur du cinéma japonais contemporain, joue avec tout ce que recèle le Septième Art de l'Empire du Soleil Levant. D'origine française, le cinéaste se met instinctivement dans la peau d'un metteur en scène japonais. Il ne fait aucunement office d'ethnologue.
« Tokyo Eyes » relate la rencontre entre deux jeunes gens, Hinano et K. (Hinano Yoshikawa et Shinji Takeda, deux jeunes stars dans leur pays) dans une Tokyo de fin de siècle. Alors que la police est sur les traces d'un tueur surnommé le bigleux, Hinano rencontre K., un petit génie de l'informatique qui passe son temps à tirer sur ses victimes à l'aide de lunettes déformantes. De fait, il rate sa cible volontairement à chaque coup. Fascinée, la jeune fille s'amourache de K. Ensemble, ils deviennent les personnages d'un jeu inventé par K. qui a le leurre de déplaire à la police, représentée par le frère aîné de Hinano.
On peut difficilement mieux exposer le fond de « Tokyo Eyes » qui ressemble plus à une expérience qu'à un film au sens conventionnel du terme. Limosin signe là une fable sur l'apparence des choses : on porte des lunettes pour moins voir et les pistolets ne servent pas à tuer. Pour arrivée à cette fin, le cinéaste oscille sans frontière entre le pouvoir du cinéma et du jeu vidéo. Plus le film avance, plus le personnage de K. retombe dans la réalité, abandonnant ses créations ludiques. Et c'est une femme qui devient son témoin entre son univers de jeu et le monde tel qu'il est, de même que la jeune fille, par admiration au début, puis par amour, se laisse entraîner dans les créations virtuelles de son nouvel ami.
Par là, Jean-Pierre Limosin prouve que les apparences sont toujours trompeuses, que l'on ne peut plus se fier ni à ce que l'on voit, ni à ce que l'on ressent. Cette vision pertinente et personnelle de la réalité se retrouve dans un personnage énigmatique incarné par Takeshi Kitano dont le réalisateur français a signé un magnifique portrait, « Takeshi Kitano l'Imprévisible » pour le compte de la série « Cinéastes de notre temps » diffusée par Arte. Il compose un yakusa vieillissant qui n'a pas encore obtenu l'aval de ses supérieurs de posséder une arme à feu. A la fois hilarant et pathétique, il incarne le danger de notre société de consommation qui passe désormais par le jeu, virtuel de surcroît.
Enfin Jean-Pierre Limosin, grâce à un montage ingénieux, accouple ses images à la musique électronique de Xavier Jamaux. Ce dernier parvient à rendre à la fois l'ambiance insufflée par Tokyo et la relation entre ces deux personnages qui se cherchent mutuellement l'un l'autre. Sa musique les suit à la trace et, une fois encore, joue avec ce qu'ils vivent et ce qu'ils sont. Avec « Tokyo Eyes », Limosin prouve que le Septième Art peut aussi être un fabuleux terrain de jeu.
RemyD
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le 23 oct. 2010

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