Réalisateur maintes fois récompensé et salué par la critique, Win Wenders trempe de temps à autre dans le documentaire. Avec Tokyo-Ga, il part à Tokyo se plonger dans le cinéma de Yasujiro Ozu.

Ou, plus exactement, il recherche la ville de Tokyo décrite dans les films du cinéaste nippon, et en profite pour parler de celui-ci. Ce qui nous donne dans le fond deux œuvres distinctes : celle où il essaye de saisir des instantanées de la capitale japonaise, et celle où il nous parle effectivement d’un de ses artistes favoris.

Si vous comptez sur lui pour vous donner envie de faire le voyage jusqu’au Pays du Soleil Levant, ou pour vous pousser vers la filmographie de Ozu, vous pouvez passer votre chemin. Car il faut dire la vérité : Tokyo-Ga est désespérément chiant. Il l’est d’autant plus que c’est Wim Wenders lui-même qui s’occupe de la narration – pour la version française – et que le pauvre homme s’ennuie, mais s’ennuie, d’une force inimaginable. Il a dû enregistrer sa voix à 4 heures du matin après une journée puis une nuit bien remplies, je ne vois que ça pour expliquer son absence totale d’enthousiasme – il avoue lui-même ne plus savoir pourquoi il tourna telle ou telle scène – et son ton monocorde. Comme somnifère, c’est radical. La prise de Tokyo-Ga est déconseillée si vous devez ensuite prendre le volant.

En même temps, la narration est à l’image de nombre de séquences : régulièrement, Wim Wenders pose sa caméra quelque part, cherche un angle original à défaut de nous raconter quelque chose, reste silencieux, tourne pendant de longues minutes des passants qui n’avaient rien demander, le tout sans le moindre propos sinon celui de filmer Tokyo et ses habitants. Il signe aussi le montage, et cela n’arrange rien ; surtout quand il coupe inopinément ses paroles, notamment lorsqu’il s’apprête à nous expliquer la signification du caractère sur la tombe de Ozu…

Paradoxalement, il reste des éléments à retenir de l’exercice, comme si Win Wenders ne l’avait pas fait exprès. Il nous offre quelques images rares de ce pays en constante ébullition – les golfeurs sur les toits de Tokyo, l’employé qui modifie légèrement les machines de Pachinko après la fermeture, la création des plats factices pour les vitrines des restaurants,… – et les rencontres avec ceux qui ont connu le réalisateur japonais ne manquent pas d’attrait, tant nous sentons chez eux le respect qu’ils lui portaient. Nous y croisons aussi un Werner Herzog prolixe mais abscons, et un Chris Marker qui – fait rarissime – accepte de laisser la pellicule capter la moitié de son visage, dans un bar de Shinjuku portant le nom d’un de ses court-métrages : La Jetée. Sauf qu’il faut une patience d’ange pour en profiter, car entre ces petits instants de grâce, le rythme d’une incroyable lenteur n’aide pas à nous maintenir éveillés. Au bout d’un moment, cette lenteur et la musique lancinante de Tokyo-Ga le transforment même en un objet expérimental et psychédélique.

Que nous apprécions ou non Yasujiro Ozu, la partie consacrée spécifiquement à son travail est la plus intéressante, car elle reste factuelle et nous permet d’en apprendre plus sur ses méthodes et son style. Les pérégrinations du réalisateur dans Tokyo, par contre, donneraient plus envie de dormir, bien aidées par sa narration d’une inénarrable mollesse. Jamais il ne réussit à nous rendre vivant ce qu’il filme.
Ninesisters
5
Écrit par

Créée

le 11 janv. 2014

Critique lue 466 fois

2 j'aime

Ninesisters

Écrit par

Critique lue 466 fois

2

D'autres avis sur Tokyo-Ga

Tokyo-Ga
RKM
7

Critique de Tokyo-Ga par RKM

Rien que pour l'interview de Yûharu Atsuta, l'homme qui a collaboré avec Ozu du début à la fin, il faut voir Tokyo-Ga. Ce ne sont que les 25 dernières minutes de ce documentaire mais un précieux...

Par

le 22 sept. 2011

17 j'aime

1

Tokyo-Ga
Camille_H
8

Wenders à Tokyo

Que reste-t-il de la famille en déclin décrite par Ozu? Des bribes: l'occidentalisation a dispersé Tokyo. Tokyo-Ga est ce qu'il reste du Voyage à Tokyo de Wim Wenders. Ce n'est pas un récit de...

le 20 mars 2015

7 j'aime

Tokyo-Ga
Sasory
8

Critique de Tokyo-Ga par Sasory

Encore une fois Wenders me surprend, je le connaissais excellent (voir généralissime pour paris, texas ou les ailes du désir) réalisateur, je le connais maintenant très bon réalisateur de...

le 11 juin 2011

5 j'aime

3

Du même critique

Evangelion 3.0 : You Can (Not) Redo
Ninesisters
10

La prochaine fois, j'enlève le bas !

Si je suis légèrement moins emballé que pour les deux premiers opus, je trouve quand même qu’il s’agit pour l’instant du meilleur de la saga. Paradoxe ? Incohérence ? Disons que mon impression est à...

le 30 avr. 2013

43 j'aime

Hellsing Ultimate
Ninesisters
9

Critique de Hellsing Ultimate par Ninesisters

Kôta Hirano est un mangaka plus connu pour la qualité de ses boucheries, enfin de ses manga, que pour son rythme de publication. Ainsi, après le succès d’un premier anime qui ne reprenait finalement...

le 13 mars 2013

38 j'aime

1