Secoué par les femmes, Gullaume Brac l’est assurément. Deux ans et demi après son moyen métrage Un Monde sans Femmes, véritable succès critique, Guillaume Brac revient avec un premier long métrage qui s’intéresse toujours autant aux tracas de l’amour, à la peur d’aimer, en ajoutant ce qu’il faut de substance mélancolique, de touches comique et de film noir pour imposer une nouvelle maturité. Considéré comme l’un des réalisateurs français sur lesquels il faut compter à l’avenir (Les Cahiers du Cinéma, Avril 2013), Un Monde sans femme était un film émouvant, tout en justesse, sensible, doux et sensuel. Notoriété désormais acquise, Brac retrouve les plateaux avec une pression énorme. A nouveau scénariste sur Tonnerre, le cinéaste reprend ce qui a fait la recette de son premier succès. A la différence d’Un Monde sans Femme, il passe de l’été et sa mer bleue turquoise à l’hiver et les plaines enneigées de la Bourgogne. L’ambiance est toujours aussi rurale, aussi sincère et les dialogues avec les figurants (véritables habitants de la commune de Tonnerre) sont parfaits. Et le réalisateur reprend également les ingrédients de la réussite de son précédent métrage en adoptant une mise en scène sincère, avec des dialogues qui balancent entre l’insouciance, la justesse, l’humour délicat et la colère incontrôlable. Guillaume Brac ajoute suffisamment de substance à son premier long métrage pour dépasser une simple version longue et hivernale de Un Monde sans Femmes. Certains lui reprocheront son manque d’audace et sa ressasse de son premier succès, Tonnerre se situe ailleurs et confirme que Guillaume Brac est un cinéaste sensible, mélancolique et qu’il faut suivre de très près.

Nouvelle coqueluche du cinéma français, Vincent Macaigne est capable désormais de porter un film sur ses seules épaules. Variety lui a consacré un article entier évoquant le « Nouveau Gérard Depardieu ». Sa naïveté insouciante, son visage forgé par la maturité, son timbre de voix gêné font de cet acteur l’un des plus singuliers de ces dernières années. Nommé au César du Meilleur Espoir Masculin pour La Fille du 14 Juillet (Antonin Peretjatko, 2013), il est l’une des valeurs du cinéma français. Il retrouve pour la troisième fois le réalisateur qui l’a révélé au grand jour. Il reprend ce rôle d’homme émotif et raté qu’il tenait dans Un Monde sans Femmes avec davantage d’assurance, de confiance et de bestialité. Un acteur épatant dont une scène de danse chevaleresque finira de convaincre les indécis. A ses côtés, il y a la petite Solène Rigot, véritable visage d’ange au cœur fâché, vu chez Gilles Bourdos (Renoir, 2013) et également chez Delphine Coulin et Muriel Coulin (17 filles, 2011). Son interprétation est saisissante tant elle se révèle probe et toute en retenu. Enfin, pièce de choix pour Guillaume Brac, Bernard Menez trouve un rôle conséquent qui lui va à merveille. Un trio d’acteurs impeccables dirigé par un cinéaste sensible et de grand talent.

Loser au grand cœur, Maxime rentre chez son père à Tonnerre pour s’éloigner de l’enfer parisien et retrouver l’inspiration après un premier album musical réussi. Sa rencontre avec une journaliste locale l’emmènera dans des terres profondes insoupçonnées. Elle se nomme Mélodie, comme si cette histoire semblait destinée pour ce musicien mélancolique. Difficile de ne pas y voir en Vincent Macaigne l’alter ego de Guillaume Brac. Un dialogue du film résume à lui-seul l’état d’esprit de Brac pendant l’écriture du film : « J’ai fait un album apprécié par la critique. Mais les gens t’oublient très vite et te remplacent par quelqu’un d’autre. Et là, je peux te dire que c’est le grand vide. » C’est assurément de lui qu’il parle après le succès de Un Monde sans Femmes et la reconnaissance de son talent. Le prochain projet de Brac était attendu avec impatience et Tonnerre fait assurément preuve d’audace scénaristique mais confirme une réussite cinématographique et émouvante des relations et de l’amour en général. Les dialogues sont fins, les personnages en retenus, les décors varient et les rencontres avec les locaux délivrent quelques scènes magiques, des séquences involontairement drôles, des moments poignants et beaucoup d’émotions. Dans une scène de dîner à quatre, on découvre le lourd passif de Max et son père sur le morceau « Tornero » de I santo California (groupe de variété italien) à travers un regard subtil mais profond. Cette séquence donne également lieu à une belle séquence, comme si Max se prédestinait à rester avec cette fille rencontrée par hasard et avec qui il dessine un avenir. Il est proche, un peu trop, possessif, un peu trop aussi mais il est amoureux. Un amour qu’il ne peut déclarer mais qui le rend malade. Malade jusqu’à la folie. Malgré la rupture, il ne pourra rester là à ne rien faire et son comportement donne toute signification à ce morceau du groupe italien, il reviendra (Tornero en italien) malgré les obstacles.

Le personnage de Max se transforme littéralement dès qu’il reçoit ce message anonyme odieux et ce texto de rupture cruel. L’impression d’avoir été pris pour un con, d’être considéré comme un monstre, ce sont ces jugements qui vont le transformer en animal. Un animal docile et amoureux qui ne s’assagit qu’aux côtés de sa belle. Auparavant, et c’est touchant, Max n’y croyait pas à cet amour qui rend malade. C’est sa rencontre avec un de ses fans qui lui apprend sa détresse romantique jadis et son envie d’en finir avec la vie qui le fait réfléchir sur le sens de sa relation. Tout est toujours amené avec grande justesse par Guillaume Brac, la bascule sentimentale du personnage de Vincent Macaigne surprend par sa rapidité mais elle témoigne davantage de l’impact dramatique qu’est la rupture sentimentale. Ce que le cinéaste nous évoque et que beaucoup d’autres ont évoqué avant lui, c’est la complexité de l’amour. Guillaume Brac livre un récit mélancolique, triangulaire et shakespearien qui ne pouvait pas finir autrement.

A travers Tonnerre, Guillaume Brac revendique ce qui a fait le succès de son précédent métrage, ce cinéma de l’émotion, de la tendresse et de la finesse. Tonnerre est un petit chef d’œuvre. Un de ces films qui ne laissent pas insensibles. Ce premier long métrage renvoie sur de très nombreux points à Un Monde sans Femmes. Mais Tonnerre est réalisé avec tellement de sincérité, soulevé par la performance de ses acteurs et de ses dialogues, qu’il est difficile de ne pas tomber sous le charme de ce film qui touche directement au cœur. Un pur film romantique, qui évoque les joies des premiers temps et chutent violemment sur la désillusion sentimentale où la violence semble être une issue fatale, mais jamais une réponse. Tonnerre est parfaitement réussi dans la retranscription de ces tranches de vie provinciales et rend hommage à tous ces habitants locaux. Le premier long métrage de Guillaume Brac ne renouvelle pas le genre du drame sentimental mais s’avère être un petit bijou du cinéma français et la promesse d’un duo acteur/réalisateur en devenir.
Softon
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le 4 févr. 2014

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Kévin List

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