Certes, nous sommes chez Woody Allen, et ça se sent dès les premières minutes : New York, Park Avenue, riche famille démocrate, et Alan Alda. On sait que le cinéaste est très influencé par les comédies sophistiquées des années 40-50, et on retrouve un peu cette ambiance ici : luxueux appartements, musique jazzy, dialogues très écrits.
Le cinéaste commence son film en dressant le portrait d'une famille qui revendique sa modernité. Nous sommes typiquement dans ce qu'en France on appellerait « Gauche caviar ». Famille recomposée qui se veut détendue, où l'ex-mari continue à être reçu à la maison ; opinions politiques très « libérales », dans le sens américain du terme. Woody Allen, que l'on sait proche de certaines de ces idées, n'hésite pas cependant à en faire une caricature très efficace. Ainsi, la mère (Goldie Hawn), complexée parce qu'elle est née riche, culpabilise tellement qu'elle passe son temps (et une partie de sa fortune) à travailler pour des œuvres de charité, histoire de se donner bonne conscience.
Le cinéaste va même jusqu'à montrer les limites de cette « ouverture d'esprit ». On milite pour un meilleur traitement des criminels emprisonnés, on participe à des colloques pour que les détenus décorent eux-mêmes leurs cellules, on manifeste pour les libérer. Mais si la fille de bonne famille veut épouser un détenu libéré, on change complètement de discours. Ça frôle l'hypocrisie.
Au passage, profitons-en pour célébrer le génial Tim Roth, acteur trop rare qui tient donc le rôle de cette brute épaisse. Et, au-delà, tout le casting est excellent, que ce soit avec les habitués du cinéaste (Alan Alda ou David Ogden-Stiers) ou les nouveaux venus (dont Natalie Portman et Julia Roberts).


Alors, c'est connu, Tout le monde dit I love you est une comédie musicale. Et ça commence fort bien : nous avons, dès le début, une vision très romantique, les arbres en fleurs, un gentil petit couple, etc.
Et pourtant, le choix des chansons laisse vite apparaître une vision plus désabusée de l'amour. La répétition de la chanson « I'm through with love » (j'en ai fini avec l'amour) indique clairement cette volonté de donner un aspect un peu plus grave que ce qui apparaît de prime abord.
Mais c'est surtout dans l'histoire racontée que l'on a la vision désenchantée du cinéaste. Que sont les histoires d'amour du film ? Une accumulation de clichés pseudo-romantiques qui ne résistent pas à la réalité de la vie quotidienne, une manipulation, ou un appel des hormones. D'ailleurs, tout foire dans ces couples : la narratrice tombe amoureuse de tous les mecs qui entrent dans son champ de vision, Von comprend qu'il vaut mieux se contenter d'un homme imparfait plutôt que de poursuivre un conte de fées. Quant au couple Bob et Steffi, on voit bien, au fil du film, qu'il suffit de trois fois rien pour qu'il disparaisse.


Mais la cinéphilie de Woody Allen l'emporte (et nous emporte). Car Tout le monde dit I love you est un film de cinéphile. Les clins d’œil abondent, aussi bien dans les situations, les chansons que les dialogues. Ce sont les références habituelles de Woody Allen, de « Un Américain à Paris » à Groucho Marx. Mais on sent un tel amour pour ces films, pour ce cinéma délicieusement désuet, qu'il se transmet facilement.
Bien entendu, les dialogues sont formidables. S'il faut n'en retenir qu'un seul, voyons ce personnage hilarant de la servante, Frieda, « qui avait dû être la domestique d'Adolf Hitler à Berchtesgaden « , qui traite les Italiens de « lavettes » parce que leurs pâtes ont besoin de sauce. Voyons aussi Joe (Woody Allen) qui explique qu'avec le décalage horaire, il peut être en pleine activité à New York et mort à Paris en même temps.
Les morceaux musicaux sont formidables. D'Edward Norton chantant « My baby just cares for me » en pleine bijouterie au grand-père mort qui ressuscite le temps d'un ultime appel à profiter de la vie, Woody Allen nous offre des moments enchantés à la hauteur de ces comédies musicales auxquelles il veut rendre hommage.
Certes, il y a bien deux ou trois petits passages à vide, mais ça n'empêche pas l'ensemble d'être absolument délicieux, avec ce brin de cynisme qui sied à merveille au cinéaste new-yorkais.

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le 7 mai 2016

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SanFelice

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