Ce qui est vrai, c’est ce qu’on peut prouver

Avec son titre très ironique, le film s’inspire d’un fait divers qui a scandalisé le Chili en 2013. Au centre du scandale, Carlos Larrain, avocat et ex-sénateur chilien (du parti de centre droite Rénovation Nationale), apparemment sans lien de parenté avec Pablo Larrain, le réalisateur et producteur chilien. Le fils de Carlos était dans un véhicule qui faucha mortellement un piéton qui aurait pu être sauvé si les occupants du véhicule n’avaient pas fui le lieu du drame. Lors de l’enquête, des faux témoignages auraient permis d’acquitter le fils du politicien, au détriment de certains des amis qui étaient avec lui ce soir-là. De plus, il serait de notoriété publique que le silence de témoins capitaux a été acheté. La justice chilienne s’est ainsi trouvée dans le collimateur de l’opinion.


Ce que le film montre ressemble à cette affaire, sans chercher à la reconstituer point par point. Un jeune homme de la bourgeoisie chilienne, Vicente (Agustin Silva), avec l’insouciance de son âge (18-20 ans), va de fête en fête et y rencontre plusieurs filles avec lesquelles il ne se contente pas d’échanger de gentils bisous, boit plus que de raison et, dans le feu de l’action, participe à un vol au détriment d’un veilleur de nuit. Il suit ses relations sur Facebook et surtout par des SMS.


Vicente conduit après le vol, mais se trouve relégué à l’arrière de la voiture et câline une fille au moment où la situation dérape. Ensuite, il ne comprend plus ce qui lui arrive. Le groupe vient le rechercher au petit jour et il se retrouve rapidement témoin puis suspect pour le policier qui l’interroge. Se sentant en mauvaise situation, il ment pour tenter de rester étranger à l’affaire. Bien mal lui en prend, car le mensonge saute rapidement aux yeux de tout le monde, y compris de sa famille qui s’organise pour le défendre.


Le postulat du film est donc que Vicente affronte la Justice à la place du conducteur responsable. Il est vrai que Vicente fait un peu de détention provisoire et qu’il aura une suspension de permis, ce qui parait bien léger au vu d’une accusation pour homicide, même involontaire. Pas complètement naïf, Vicente jauge la situation pour décider ce qui lui permettra de s’en sortir malgré tout. D’ailleurs, la fin le montre avec une nouvelle fille, dans une fête (probablement plus sage que celles qu’il a connues) où il croise le conducteur du véhicule dans lequel il avait eu la malencontreuse idée de monter sans réfléchir. On ne sent évidemment pas de franche camaraderie, mais les deux jeunes hommes se serrent la main. Jusqu’ici, tout va bien !


Le film s’intéresse au fonctionnement de la Justice, à la façon dont elle s’exerce, de quoi elle traite et sa valeur. Venu trouver Vicente qui tente de faire le vide sur une plage (scène capitale), un homme se fait l’avocat du diable en lui affirmant que « La vérité, c’est ce qu’on peut prouver. » Un discours à tendance cynique ou tout simplement pragmatique ? Quoi qu’il en soit, cela donne à réfléchir à Vicente, au vu de sa situation et de la puissance (sociale et financière) du parti qui cherche à lui faire porter le chapeau.


Le spectateur comprend bien l’ampleur de la faillite de la Justice dans cette histoire. Mais qu’a prouvé le réalisateur ? Que la Justice peut se fourvoyer et être manipulée ? Ce n’est pas un scoop. En laissant entendre que ce qu’il présente ici s’inspire directement de l’affaire Larrain, Alejandro Fernàndez Almendras prête le flanc à la critique. Comment a-t-il acquis la conviction que la Justice de son pays se fourvoyait ? Il s’indigne du fonctionnement de la Justice, mais il n’en montre quasiment rien. Il pourrait également s’intéresser à la famille du chauffard assassin, pour qu’on comprenne mieux comment le poids social s’exerce concrètement, comment ces gens qui ont les moyens financiers peuvent employer un avocat aussi déplaisant et incitatif dans son discours plein de sous-entendus. Finalement, ces puissants n’apparaissent jamais dans le film qui est centré sur Vicente et son entourage.


Alejandro Fernàndez Almendras en étant à son quatrième long métrage (le précédent étant Tuer un homme…), il n’est certainement pas sans savoir qu’un film n’est qu’un objet qu’il présente au public. Cet objet peut avoir une valeur artistique (ou d’engagement), mais il reste issu des choix (scénario, mise en scène) de son concepteur. Le fait que le réalisateur soit chilien ne suffit pas pour le cautionner pleinement.


Ainsi, toute la première partie est montrée avec une caméra portée à l’épaule qui suit Vicente avec agilité, des textes courts en surimpression donnent à lire des textos (en français) dont on devine les auteurs, mettant en évidence un décalage volontaire entre les textes et l’action. Alejandro Fernàndez Almendras (qui signe AFA, par simplification ou par coquetterie ?) explique que son but est de faire sentir que beaucoup (dont la jeune génération) expriment le plus important de cette façon et non oralement et face à face, créant des malentendus qui vont jusqu’à engendrer de la violence. Louable intention qui ne passe que très moyennement. Ces choix créent le doute sur ce qui s’est effectivement passé, car Vicente ira jusqu’à affirmer devant les siens qu’il était saoul et ne se rappelle plus à quel moment il a conduit. Le spectateur qui lui, regarde le film à jeun, se rappelle certainement plus facilement.


Une fois Vicente dessaoulé, la mise en scène redevient plus classique, avec une caméra plus sage. Vicente s’est enfermé dans une attitude qui reflète sa volonté de ne pas payer pour un autre. Mais l’ordre établi ne l’a pas attendu pour prendre les décisions permettant de maintenir cet ordre. L’innocence que le réalisateur voudrait faire passer avec le personnage de Vicente n’est qu’une illusion. Derrière le visage de l’innocence bafouée, le spectateur ne trouve qu’un jeune homme qui sent que le vent tourne. D’ailleurs, comment parler d’un innocent, quand on connaît sa moralité ? A son petit niveau, il s’agit quand même d’un profiteur qui réalise tardivement qu’il a accepté de se faire manipuler. Or, on lui propose une autre manipulation qui lui permettrait de s’en sortir à bon compte…


Ces réserves mises à part, le film donne suffisamment à voir et à réfléchir pour mériter le détour.

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le 8 oct. 2016

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