"Troublez-moi ce soir" un titre qui sonne comme une invitation légère, un peu ambiguë, que vient souligner l'affiche du film. Marilyn, pose lascive de poupée blonde et lingerie fine. On s'attend aux courbes généreuses de l'icône du glamour, à ce qu'elle ondule toute en formes et en paillettes et envoie un baiser au spectateur avec un clin d’œil canaille. On s'attend à ce qu'elle soit encore et toujours The Girl, à ce qu'elle soit Marilyn.
Nous sommes en 1952. Norma Jeane n'est pas encore Marilyn Monroe, ou si peu. Visage en forme de cœur et boucles blondes pas encore platines. Une jolie petite chose que le Studio emploie dans des rôles de "ravissante utilité". Car ravissante, elle l'est et le public l'a remarqué. Mais elle n'est pas que ça et avec le film de Roy Baker chance lui est donnée de le prouver. Chance est donnée aussi au spectateur, celui d'aujourd'hui, de découvrir et savourer une Marilyn bien éloignée du personnage que le mythe lui a ciselé au fil des films et des années. Car si au premier abord tout semble indiquer une romance aussi légère que le déshabillé qui drape la jeune actrice, c'est vers un drame touchant que tend le film. Et si son titre original nous invite à entrer sans frapper, ce n'est pas tant pour des enjeux amoureux. Le trouble réside non pas dans le décolleté de Marilyn mais dans les fêlures intimes de son personnage. De sorte que c'est elle qui capte toute notre attention. Marilyn et son interprétation brillante et complexe d'un personnage sans cesse sur le fil du rasoir.
Et malgré un scénario pas toujours habile qui ne semble jamais vraiment savoir dans quelle direction aller - on pense à un film noir quand Bancroft et Widmark consomment leur rupture au bar de l'hôtel, on se perd dans des intermèdes burlesques qui anéantissent la tension avec le couple de voisins de chambre - malgré une trame principale qui se double d'une seconde de moindre intérêt, malgré des moyens restreints, elle crève l'écran, Marilyn! Elle rend inutile une Anne Bancroft déjà accessoire et oubliable un Richard Widmark qui s'en montrera un peu agacé, lui qui sait pourtant y faire et à l'époque seul acteur d'un peu de poids dans la distribution. Elle irradie, Marilyn, de candeur et de charme. Mais pas d'une candeur artificielle, pas d'un charme tapageur. Tour à tour attendrissante, inquiétante, touchante, fragile, émouvante. Elle se fait discrète, timide petite souris. Elle se fait séductrice, un peu, petite diablotine au corps superbe. Mais c'est amoureuse qu'elle est, surtout, toujours. Et comme par un jeu de miroirs sadique, comme un présage ironique, la Vie s'est jouée de l'Amoureuse et tourne au tragique. Car on sait ô combien fut chaotique la vie intime et publique de Marilyn Monroe et si elle semble habiter tout entier son personnage, il semble aussi qu'il l'habitait déjà et que, d'une certaine manière, il ne la quittera pas. Dans l'ombre de Nell se dessine celle d'une mère que la folie a dévorée et la peur qu'à son tour elle la guette, tapie dans un coin de son esprit. Et les contours de cette jeune fille de pellicule qui existe pour à peine plus d'une heure esquissent comme par un impossible fait-exprès les peurs et les tourments de Marilyn.
Ainsi, "Troublez-moi ce soir" ne reste pas dans les mémoires. Mais Marilyn, elle, nous captive et nous hypnotise.