Qu’est-ce qui cloche vraiment dans True grit ? Pourquoi le film se regarde-t-il d’un œil si morne, sans éclat, tels un joli tableau, une jolie gravure laissant de marbre face à elle parce qu’incapable à procurer un sentiment de contentement, une quelconque satisfaction pour l’esprit, cinématographique et émotionnelle ? À vrai dire, affirmer que le film est lent et qu’il s’y passe peu de choses serait lui faire un mauvais procès. Il existe des films lents et chiches en aventures qui sont totalement passionnants. Et True grit, malgré ses nombreuses qualités formelles, n’est pas passionnant ; même pas ennuyeux, uniquement (car cela suffit pour désaimer le film) frustrant par son absence de flamme, d’ivresse et de tout ce que l’on voudra du plus ou moins même acabit.

Ce voyage dans une Amérique terrienne et onirique à la fois (la rencontre avec le "docteur ours", la fosse aux serpents, le pendu, les flocons de neige…) est une espèce de conte initiatique habité d’abord par la parole (on devise beaucoup, on négocie, on promet, on plaide…), puis par les faits (on chevauche, on tire, on saigne, on manque de mourir…). La quête d’un meurtrier n’est évidemment qu’un prétexte très poudre aux yeux, mais le film, tout en cherchant à se démarquer de son intrigue initiale, suit pourtant un cours désespérément monotone, balisé dans ses événements et dans les étapes "morales" (jusqu’à sa piètre conclusion supposée faire sens) d’une odyssée dont on finit par n’avoir que faire. Le film, trop confiant dans ses logorrhées (la première demi-heure est interminable), trop sûr dans son envie de livrer un western habilement revisité et novateur dans son bel académisme, oublie de provoquer, de fonctionner sur nos désirs, sur nos attentes et nos imaginations, fussent-elles débridées.

Car True grit s’ouvre à la broutille, se déploie sans surprise et sans vertige. Son manque d’incarnation, comme s’il était impossible de croire, de prendre acte des personnages évoluant sous nos yeux, ramène le film à une mécanique inexpressive, dégagée de toutes auras. Pourtant le film sait séduire, au moins le fait-il en surface et dans son simple decorum. Il entremêle les frontières, ténues, de la justice (LaBoeuf) et de la vengeance (Cogburn), les archétypes du genre, classiques mais dépoussiérés, au style des Coen que l’on parvient à entrevoir ici et là. L’interprétation est plaisamment caricaturale, l’humour est noir et décalé (la séance de tirs, très drôle), le final sanglant et brillant, et la mise en scène maîtrisée, mais hiératique.

Encore une fois, et quitte à rabâcher, l’engouement des professionnels de la profession, quasi absolu, cache mal une hypothétique admiration biaisée par le statut presque iconique, intouchable, des frères Coen qu’il faut louer absolument (et malgré de précédents ratés : Intolérable cruauté, Ladykillers) sans rendre compte d’un film complètement terne qui échoue à transcender, à sa façon, l’Ouest américain (No country for old men, à la rigueur, y parvenait autrement), au contraire des superbes Impitoyable, L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, There will be blood et surtout Dead man. On pourra reporter cet agaçant "phénomène" à pas mal de grands réalisateurs américains, à de grandes "valeurs sûres" qui, ces derniers temps, n’arrivent pas (plus) à se renouveler ou à surprendre, et déçoivent beaucoup tout en parvenant à trimbaler derrière eux une cohorte de critiques et de spectateurs piaillant au "génie" : Cameron, Fincher, Scorsese, Tarantino ou Eastwood dont le ravissement, devenu exagéré, se craquelle enfin depuis Invictus.

Les Coen, eux, trop occupés à parfaire leur petit théâtre de trognes patibulaires truffé de dialogues soporifiques, oblitèrent la fièvre, la puissance déstabilisante caractérisant leurs meilleures œuvres conjuguant, sans cesse, un absurde flamboyant et une empathie divine pour des figures hautes en couleurs (Barton Fink, Jeff Lebowski, Marge Gunderson, Anton Chigurh). Rien de tout cela ici (pas même pour les personnages de Cogburn et de Mattie), rien qui permette de s’ébahir et de s’impressionner. Qu’importe alors les thèmes développés, bien amenés ou plus anecdotiques, les symboles évidents ou suggérés. Bavard et traînant, True grit n’est que la résonance d’une ébauche, celle d’un possible grand film asphyxié par une ingrate nonchalance.
mymp
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le 17 oct. 2012

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