Dans Trust Me, un grand nombre de personnages tombent au sol. Certains s’évanouissent, d’autres accusent le coup d’une mauvaise nouvelle ; certains tombent d’ivresse, d’autres meurent.
Ils ont de quoi. Le monde a beau être feutré par les restes d’une esthétique des 80’s finissantes, c’est bien la politesse du désespoir qui le gouverne. Parents sadiques, jeunesse dans l’impasse, boulots merdiques : la seule façon des rassurer semble être d’avoir une grenade à portée de main.
Trust Me est un film américain, et sa première originalité réside dans sa façon d’avancer masqué : anglais par sa dimension sociale (on croirait croiser des personnages de Ken Loach), français par sa poésie (il y a du Tati dans ces petites incursions insolites d’une file d’attente portant des téléviseurs ou d’hommes à pipe à la sortie du train, signes d’une uniformité qui rappelle un M. Hulot), il déploie une tonalité tout à fait singulière. Abrutis par un monde indifférent, les personnages tentent de composer avec lui. Via une violence grotesque pour Matthew, à coup de poings, de boule ou de tête dans des étaux. Par une volonté d’échange de Maria, soucieuse d’un kidnapping d’enfant tout en planifiant son propre avortement.
De plus en plus dévoilés, à l’image de la métamorphose de Maria qui se démaquille et se défrise au fil du film, les personnages cherchent à se définir par rapport à ce grand mystère qu’est l’amour. Puisque celui-ci rend fou, cherchons des palliatifs : l’admiration, le respect, la confiance. Autant de notions raisonnables auxquelles manquent cet épice indispensable qui nous transporte et nous déchire, et qui va forcément s’imposer aux protagonistes.

Très écrit, le film joue volontiers de la distanciation. Par des monologues alternés face à des inconnus, par des dialogues durant lesquels on n’échange pas véritablement, si ce n’est pour déverser son mal être sans trop en révéler les ravages, avec une pose un peu désabusée.

Les effets sont contrastés. Autant ce comique cynique peut séduire, autant cette théâtralisation constante peut aussi laisser de marbre. Tout en étant assez atemporel dans sa vision du monde, Hal Hartley n’en propose pas moins un film qui a beaucoup vieilli ; si l’on peut comprendre qu’il ait fait sensation en son temps, le regard qu’on pose sur cette petite chose curieuse est au mieux amusé, au pire poliment indifférent.
Sergent_Pepper
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le 23 oct. 2014

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