Je ne sais pas trop ce qui m'a pris, un lundi matin, d'aller voir Tu ne tueras point avec mon frère au cinéma. J'avais vu la bande annonce mais ne m'en souvenais pas trop, en revanche j'étais intrigué par cette incroyable moyenne de 7.5 sur Senscritique. Et puis j'étais sans doute prêt à finalement voir un film de Gibson. N'ayant pas vu La Passion du Christ il fallait bien que je me fasse une idée.


Qu'est-ce qu'il y a dans ce film ? Une première partie plutôt prometteuse, relatant l'enfance de deux frères confrontés à un père vétéran de la première guerre, alcoolique et violent (une interprétation assez remarquable d'Hugo Weaving). On s'intéresse à Desmond, qui veut faire la guerre comme tout le monde parce que ses VALEURS sont attaquées, mais qui ne supportera pas de toucher un fusil, étant objecteur de conscience et ayant vécu une scène peu agréable, pointant un flingue sur son père pour défendre sa mère. Et il faut bien le dire je me suis demandé ce que ça allait donner cette histoire, Andrew Garfield ne passe pas mal à l'écran, la recette semble bonne en ce début de film. Bien sûr avant d'aller au front j'ai un peu tiqué, lorsqu'il a fallu que Des aille draguer sottement l'infirmière de l'hosto du coin, histoire qu'on voie ses fesses sur quelques plans d'escalade complice et qu'on s'imagine sa détresse lorsque Desmond décidera de partir servir au front. Mais on verra, on verra.


Vient une formation militaire ridicule. Vince Vaughn passe de sergent instructeur digne d'un Full Metal Jacket au plus doux des agneaux en deux coups de cuiller à pot, et on assiste à tous les clichés les plus classiques des casernes militaires. Une rivalité à deux sous avec l'homme alpha de la compagnie, le sergent qui retourne les frères d'armes contre Des pour s'en débarrasser, Des qui prend d'ailleurs le rôle de Baleine une nuit, lorsqu'il se fait savater par ses potes, puis conseil de discipline pour refus d’obtempérer... C'est assez marrant que le capitaine devant lequel on amène Desmond fasse preuve d'ironie en feignant de s'intéresser au confort de ce dernier. Parce qu'au départ je trouve qu'on l'écoute déjà pas mal papoter le Desmond, il a des trucs à dire, il se paye la tronche du sergent instructeur devant le reste de la troupe sans problème, on prend le temps d'un capitaine et d'un sergent pour étudier son cas... Cherchez le héros du film.
Puis cour martiale, le père qui intervient auprès de son fils pour qu'il aille quand même défendre les VALEURS du pays, malgré sa haine de la guerre... Et puis enfin on est partis.


Et alors là, ben allons-y ! C'est comme si toute la passion morbide de Gibson pour les tripes et l'assassinat et l'héroïsme et les armes et la bravoure et toute cette saloperie avait été trop contrariée par toutes ces préliminaires nécessaires à l'histoire. Bien sûr, la guerre c'est sale, ce sont des membres mangés par les rats et des souffrances sans fin, de la boue, des yeux crevés et des jambes en charpie, ne nous faisons pas d'illusions. Mais il est évident à l'écran que Mel, ça le travaille. Et vas-y que j'te colle des rats qui gobent des yeux, des tripes au kilomètre, des japonais vicelards et des américains apeurés mais héroïques. Des couches et des couches, qui peu à peu couvrent le sentiment d'horreur de la guerre pour laisser place à un carnage voyeuriste presque glorieux.


Ce film s'appelle "Tu ne tueras point". Il parle d'un type qui sert à la guerre sans tuer. On connaît les penchants de Mel pour la bible. On peut s'attendre à ce qu'un tel film critique la guerre, dans sa globalité. Qu'un tel film, même niaisement, tente de démonter la nécessité d'une guerre, ou tout du moins une vision manichéenne de cette guerre. Eh bien, non. Le fait que Des ne tue pas permet à tous ses potes de trucider tout ce qui bouge autour d'eux avec moult ralentis et actions de ninjas. La compagnie de Des démonte les japonais (au passage, des petites saloperies qui "s'en tapent de vivre ou mourir" et qu'on voit sans cesse se livrer à des fourberies kamikazes ou s'ouvrir le bide dans un bunker dans ce qui semble être un hommage maladroit à leur courage (?!?)) et brûle au lance-flammes, et empale, et dissèque, et pffff... Et ne vous trompez pas : les cocos qui font un carnage à côté de Desmond sont tout autant portés aux nues à travers les plans cinématographiques que Des, qui s'évertue une nuit à descendre seul pas mal de soldats du haut d'une falaise, en essuyant des tirs ennemis.
L'amitié aussi impromptue que ridicule qui lie d'un coup le héros aux autres membres de son escouade a soulevé beaucoup de soupirs entre mon frère et moi, à la limite du fou-rire. Les brutes s'adoucissent. Tous voient en Des un saint, d'un coup. Et ce avant même qu'il ne commence son acte d'extrême bravoure. Les ralentis sont gras, les sourires virils entre hommes ridicules de cliché. Un instant j'ai l'impression de voir des scènes de Flashback d'OSS 117 et Jack roulant sur la plage en se tenant les côtes.


Enfin quoi, merde. Où veut-il en venir ? J'ai l'impression d'avoir mangé les "Memberberries" de South Park, on me sert un film à la sauce 90 que j'aurais sans doute aimé étant gosse et n'ayant pas de jugeote. Et vas-y qu'après ça on fait prier Des pour la compagnie, et l'armée est sous la protection de Dieu, et on te remet une couche de lasagnes de jambes au passage... C'est effarant.
Vraiment, je me suis dit au début : c'est bien, qu'il montre une guerre sale, et non pas seulement des corps inertes. Mais le sentiment au bout de ces deux heures de supplice, c'est que j'ai assisté à la représentation d'un homme absolument fasciné par la guerre et par la vision ultra américaine du héros qui "accomplit plus (en une journée) que nul homme n'a accompli pour sa patrie".
La première partie n'a rien d'une prélude à la seconde. On dirait que Mel s'est empêché de parsemer le film de guirlandes d'intestins grêles sur deux heures parce qu'on lui a conseillé de mettre un cul et un peu de background. Aucune finesse. Ce film fait partie de ces films bêtes que beaucoup considèrent comme un chef d’œuvre parce que la contradiction est totale. Et que ben, si c'est le cas, alors son concepteur doit être un génie.


Je passe sur le mini-documentaire de fin. Et aussi sur le repas de midi. Malgré toute cette absurdité, Mel aura quand même réussi à me rappeler l'horreur qu'a été cette guerre. Mais j'ai l'impression qu'il ne l'a pas fait exprès, tant les simples images sont recouvertes de patriotisme et de glorification d'une nation placée sous la bienveillance de Dieu. Un très mauvais film dont tout a été vu et revu au cinéma, apportant peut-être simplement un peu plus de mépris pour un réalisateur qui conserve une vision bien simpliste des choses. Heureux soient les imbéciles.

Hexode
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le 14 nov. 2016

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